Entretien avec Cho Hyun-hoon : « Mes films réfléchissent sur la mémoire »

Entretien avec Cho Hyun-hoon : « Mes films réfléchissent sur la mémoire »

Portrait de Cho Hyun-hoon, jeune cinéaste mis en lumière par la 12e édition du Festival du film coréen à Paris.

Il est assez rare de pouvoir découvrir un réalisateur au travers de l’ensemble de son œuvre. C’est pourtant ce que propose le Festival du film coréen à Paris, chaque année, en mettant en avant un réalisateur au travers de ses courts-métrages et son premier long.

Cette année, c’est Cho Hyun-hoon qui est à l’honneur. Avec Metamorphosis (2007), son premier court, le réalisateur évoque les souvenirs heureux d’un homme, dont la femme est désormais dans un état végétatif. Avec The Mother’s Family (2013), c’est une jeune fille qui écrit à sa belle-mère et se souvient de l’époque où elle vivait avec son frère. Enfin, avec Jane, son premier long-métrage, il évoque la famille, l’abandon, et à nouveau le besoin de se remémorer les souvenirs du passé pour pouvoir enfin avancer. En cela, même si ses sujets sont souvent sombres, Cho Hyun-hoon garde ouvertes les possibilités, et fait ainsi preuve d’un attachement particulier pour ses personnages. Auteur sensible et étonnamment mature, il dépeint avec nous son cinéma.

 

Pour votre premier film, vous vous intéressez à un sujet difficile, presque lourd, mais vous en tirez une certaine poésie. Comment en êtes-vous arrivés à cette histoire ?

Metamorphosis remonte à dix ans. À l’époque, j’avais vu une brève dans un journal sur un homme qui avait mis le corps de sa femme décédée dans le congélateur, pour rester avec elle. Je trouvais l’histoire assez triste. C’est à partir de là que j’ai élaboré mon premier scénario.

 

À l’image, on note une caméra tremblante et en mouvement perpétuel. D’où cela vient-il ?

Il faut savoir que c’était mon premier court-métrage, j’ai donc dû tout faire moi-même, de la réalisation à la photographie, et même la musique. C’était ma première expérience donc forcément je ne maîtrisais pas tout. Mais ma seule certitude était mon désir de suivre les acteurs et leurs mouvements. De plus, je pense qu’inconsciemment, j’ai dû être influencé par une tendance du cinéma de l’époque.

Entretien avec Cho Hyun-hoon : « Mes films réfléchissent sur la mémoire » réalisateur de Jane

Vous avez donc des influences précises ?

Quand j’étais jeune, je regardais beaucoup de films, coréens comme étrangers. Par exemple pour Jane, je pense qu’il y a quelque chose des films de Pedro Almodovar, ou du Gloria de John Cassavetes. Pas par rapport à l’image, mais plutôt des personnages et de leur écriture. J’ai également pensé A nos amours de Maurice Pialat, dont le personnage de Suzanne m’a permis de créer celui de So-hyun.

 

Dans Jane et l’ensemble de votre travail, la question du souvenir revient sans cesse.

En fait, il faut savoir que le sujet qui me hante le plus, est celui de la mort. J’y pense beaucoup, et selon moi la mort est étroitement liée au temps. Ce sont deux choses indissociables, car la mort d’une personne peut avoir une influence sur la vie, présente et futur, des personnes qui restent. Donc mes films réfléchissent sur la mémoire et le souvenir, car, dans cette optique, le présent apparaît lié autant au passé qu’au futur.

 

Également, vos histoires sont souvent empreintes d’une tristesse. Néanmoins, il s’en dégage quelque chose de lumineux.

Je pense qu’il peut ressortir de mes films un certain pessimiste. Cependant, mon objectif, en écrivant l’histoire des jeunes fugueurs de Jane, c’était de ne pas abandonner les personnages. J’avais envie de leur suggérer un avenir. Et j’aimerais d’ailleurs que les spectateurs puissent, à leur tour, imaginer le futur des personnages.

 

C’est pour cela que vous racontez votre histoire par le biais d’une lettre ?

Tout à fait. À travers une lettre ou une voix off, le spectateur peut imaginer des choses qui ne sont pas à l’écran. Car une lettre, c’est avant tout un échange entre deux individus qui est très personnel. On fait alors le choix de dire certaines choses, et dans laisser d’autres de côté. Ici, on peut donc imaginer ce que So-hyun n’aurait pas pu mettre dans sa lettre. Je trouve que ça accentue la tristesse de son personnage.

 

Si vos courts-métrages sont relativement évidents, Jane, avec son montage qui fait passer d’un instant à un autre, ressemble davantage à un puzzle qu’on reformerait au fur et à mesure du film.

Effectivement, le montage s’attache à mélanger les temporalités. Je trouve que dans un film, lorsqu’un personnage dévoile immédiatement toutes ses intentions, on peut perdre en intérêt. Le but n’est pas de montrer comment les choses se passent en les suivant dans l’ordre, mais de comprendre ce que le personnage peut ressentir. Quels sont ses sentiments, ses émotions. C’est en fait l’évolution des sentiments que je veux avant tout montrer.

Entretien avec Cho Hyun-hoon : « Mes films réfléchissent sur la mémoire » réalisateur de Jane

Comment en êtes-vous arrivés à Jane ?

Le film m’a pris deux ans. À un moment, je suis resté bloqué sur le scénario, car j’atteignais mes propres limites. À savoir, qu’en racontant l’histoire de jeunes adolescents qui vivent entre eux, je n’avais pas le sentiment de les connaître suffisamment. Puis, le personnage de Jane a été introduit. C’est à ce moment-là que j’ai trouvé un point d’ancrage avec mon précédent film, Mother’s Family, et que j’ai pu avancer.

 

C’est-à-dire ?

Et bien, j’ai trouvé un point commun avec ce que j’avais déjà pu faire. J’ai donc mieux compris vers où je voulais aller, ce qui n’était pas le cas jusque-là.

 

Il y a donc des similitudes entre les deux films ? J’ai pour ma part remarqué un indice avec le bandage sur le bras des deux protagonistes.

Oui, les deux personnages principaux féminins ont de vraies similitudes. Je voulais qu’ils aient des points communs, dans leur caractère, leur attitude, mais aussi physiquement. C’est pour cela que j’ai ajouté cet élément. Même si, selon moi, le bandage est finalement moins visible dans Jane que dans Mother’s Family. Je dois admettre avoir un certain regret à ce niveau-là.

Propos recueillis par Pierre Siclier