CRITIQUE FILM - Après "Barbecue", "Retour chez ma mère" et "L'Embarras du choix", le réalisateur Éric Lavaine revient avec "Chamboultout", une comédie émouvante sur le handicap. Avec Alexandra Lamy et José Garcia en couple solaire.
Dans les films du réalisateur Éric Lavaine, il y a toujours un élément déclencheur dramatique qui trouble un équilibre apparent : la crise cardiaque dans Barbecue, une femme qui a tout perdu dans Retour chez ma mère ou une femme amoureuse de deux hommes dans L’embarras du choix. Le récit relève généralement plus de la comédie lumineuse et de la volonté non plombante de s’en sortir, même s’il y a toujours au passage quelques dommages collatéraux et règlements de comptes avec la famille et les amis. Et quand on connaît l’homme, son intérêt pour autrui et sa vision du monde qui en font un grand observateur de l’âme humaine et un éternel optimiste, il n’y a rien d’étonnant à ce que le réalisateur se lance à nouveau dans ce type d’intrigue avec Chamboultout. Mais cette fois-ci, le curseur penche pourtant moins du côté de la comédie que de l’émotion et le film interroge concrètement sur la vie des proches après un drame.
Le bonheur sans vague d’une famille se heurte donc brutalement à un énorme problème de santé de Frédéric (José Garcia). Suite à un accident et après plusieurs mois de coma, il est devenu aveugle et a désormais un déficit cognitif avec amnésie immédiate. Une ellipse de 5 ans nous emmène dans l’après-drame, puisque le point de départ du récit est le livre cathartique écrit par l’épouse de Frédéric, Béatrice (Alexandre Lamy, qui tourne dans le 3ème film du réalisateur), inspiré du livre "La course de la mouette" écrit par Barbara Halary-Lafont, amie du réalisateur.
A travers ce livre romancé de ces cinq dernières années, Béatrice raconte son vécu et ses épreuves mais surtout l’amour qu’elle éprouve pour son mari, bien qu’il ne soit plus le même. Devenu aveugle, il a développé d’autres sens comme l’ouïe ou l’odorat, et on rit beaucoup face aux scènes montrant Frédéric qui a toujours faim et qui dit tout ce qu’il pense, car son accident l’a complètement désinhibé.
Un ami, c’est quelqu’un qui vous connaît bien et qui vous aime quand même
Pourtant, même si Chamboultout ne donne jamais à voir Béatrice en souffrance ou en larmes, le film est tout le contraire d’une ode à l’abnégation. La tentation aurait été de montrer comment l’amour qui reste envers une personne diminuée se transforme en pitié ou en aigreur. Car entre la mère et la sœur de Frédéric (Guilaine Londez), les enfants et les amis, Béatrice aurait eu de quoi péter un câble et même envie de se barrer. Mais cette femme n’est que joie, patience et bonne humeur, et a même trouvé une forme d’équilibre affectif avec Bernard (Nuno Lopes).
Béatrice évoque aussi dans son livre tous ceux qui l’ont entourée et ses personnages sont directement inspirés de leurs amis, à qui elle a donné d’autres prénoms. Certains intéressés sont fiers du chemin parcouru par Béatrice, d'autres plutôt embarrassés de ce déballage intime. Réunis lors du week end célébrant l’anniversaire du couple, ils vont passer leur temps à chercher à se reconnaître au travers des traits de personnalité, pas toujours très flatteurs, que Béatrice a décrits.
Chamboultout pourrait parfaitement symboliser la phrase de l’écrivain français Hervé Lauwic "Un ami, c’est quelqu’un qui vous connaît bien et qui vous aime quand même". Car le film interroge subtilement sur les fondements de l’amitié et sur la capacité des uns et des autres à accepter les regards qu’ils se portent mutuellement. Tout est affaire de perception, pourtant vécue par certains comme un jugement négatif. Faut-il ainsi remettre en question une amitié dès lors qu’un ami appuie sur quelques défauts ? Et même si l’intention première de Béatrice n’était pas de faire du mal, le livre devient un vecteur d’une vérité qui n’est pas toujours bonne à écrire.
Évidemment, le spectateur est comme complice de Béatrice puisque les particularités des personnages sont très vite reconnaissables à l’écran. Nadia (Anne Marivin) se mêle effectivement de tout, Emmanuelle (Olivia Côte) est une bonne âme, Loïc (Jean-François Cayrey) est radin, Arnaud (Michel Vuillermoz) est un râleur. Pourtant, Béatrice ne va pas jusqu’à révéler que Fabrice (Michael Youn) trompe sa femme. Mais le portrait de l’amitié que dresse Éric Lavaine fait toujours un peu peur et on n'est pas loin de penser qu’"Avec des amis comme ça, on n’a pas besoin d’ennemis".
Même si on est conscient que ce manque de nuances sert la démonstration du réalisateur, comme c’était déjà le cas dans Barbecue, le souci est que ces amis-là sont si hétéroclites et avec parfois une telle étroitesse d’esprit qu’on a bien du mal à croire à leur amitié durable. Et la façon dont certains du groupe regardent d’un air condescendant les deux qui apparaissent comme les plus neuneus du groupe - Odile (Anne Girouard) ou JP (Medi Sadoun) - met franchement mal à l’aise. Mais malgré quelques lourdeurs, Chamboultout dresse un beau portrait de femme amoureuse et courageuse et se révèle une comédie touchante, parfois grinçante, qui prouve à l'instar de Intouchables, que l‘on peut tout à la fois émouvoir et faire rire sur le handicap.
Chamboultout de Eric Lavaine, en salle le 3 avril 2019 – Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.