CRITIQUE / AVIS FILM – Un an après "Hérédité", A24 laisse une nouvelle fois carte blanche au cinéaste américain et visionnaire de l'horreur Ari Aster. Avec "Midsommar", l'auteur s'émancipe et délivre sans aucun doute l'œuvre la plus hallucinée de cette année.
Quelle malice, d'avoir planifié la sortie de la nouvelle production horrifique d'Ari Aster et A24, Midsommar, en plein cœur de l'été. De quoi faire froid dans le dos aux quelques aventuriers qui ont eu l'audace, quelques mois plus tôt, de réserver leurs billets pour la campagne suédoise, et de quoi persuader les indécis de se réorienter vers une destination plus... exotique.
Un an après un premier choc visuel presque traumatisant (Hérédité), Ari Aster a mis au point un projet né il y a près de sept ans. Plus abouti, plus incarné, en somme, donc plus personnel, ce nouveau film s'entoure d'une imagerie tout aussi remarquable ; le folklore et tout ce qui l'entoure : l'esprit de communauté, les traditions... les rites. Si Midsommar fonctionne comme un huis clos claustrophobe et pulsant sur le ressenti pur des cinq sens, il n'en demeure pas moins filmé au grand jour. C'est donc sous le soleil éclatant, sous une lumière à première vue chaleureuse, que se déroulent vos pires cauchemars.
Préparer le terrain
Tout commence d'abord par un drame familial. Dans la lignée d'Hérédité - mais peut-être en plus radical, puisque l'aboutissement démoniaque de ce film en serait presque le début de ce nouveau - le récit de Midsommar se construit peu à peu sur une relation dont les décombres sont, dès le début, mis en avant. Dani (saisissante Florence Pugh) et Christian (Jack Reynor) sont sur le point de rompre et ce dernier n'y accorde pas plus d'importance, il préfère en effet planifier son été avec une bande de potes, dont Josh (William Jackson Harper), Mark (Will Poulter) et Pelle (Vilhelm Blomgren). Direction la campagne profonde de la Suède, au cœur de communauté des Hårga, dont le mythe est célébré à l'occasion d'un festival champêtre qui a lieu tous les 90 ans. L'occasion à ne surtout pas manquer, donc. Malgré le climat tempêtueux qui règne dans leur couple, Dani réussit à s'inviter au trip (ce mot prendra tout son sens) et, tous ensemble, mettent de côté leurs différents et leurs soucis personnels... au nom du Midsommar.
Dans un souci de cohérence, Ari Aster a préféré s'entourer d'un fin connaisseur d'une culture qui lui était méconnue. Le cinéaste a donc fait appel au chef décorateur venu de Stockholm, Henrik Svensson, pour élaborer ce village tant fantasmé. Les deux cerveaux sont très rapidement entrés en collision, amassant des tonnes et des tonnes de pages documentant le moindre détail de ces traditions païennes. Se rendre sur le terrain a aussi fait partie du jeu. Aster et Svensson ont visité musées et vestiges de cette culture fascinante... Ce souci de réalisme transpire donc de chaque image, de chaque plan de Midsommar. À tel point qu'il est difficile d'imaginer que le tournage (par souci de coût de production) s'est en fait déroulé en... Hongrie (mais on va faire comme si).
Partir pour ne jamais revenir
Ari Aster a pourtant été clair : Midsommar n'avait pas pour but, au départ, de devenir un film horrifique. Il s'agissait plutôt d'une "aventure épique, se déroulant dans un monde étrange et hermétique", comme l'aime le décrire le cinéaste. L'intrusion - littérale - de ces américains dans ce pays n'est pas anodine. Ces deux cultures sont loin de cohabiter : l'une fonctionne sur l'esprit communautaire, l'autre est baignée dans un capitalisme exponentiel, où règnent les technologies à défaut de la communication, la vraie. Ce tableau des sept différences mis en place, il n'y a désormais plus de doute : personne n'est jamais vraiment le bienvenu ici.
Ari Aster filme l'entrée en matière comme un rituel de passage, comme l'avènement d'un monde parallèle (le portail du village, littéralement, est un immense cercle doré, qui ne manque pas de féerie). Ainsi - et sans trop en dire du spectacle - l'alchimie de Midsommar peut réellement prendre effet lorsque le spectateur, comme le personnage, perd la notion du temps et de l'espace, bien aidé par le solstice d'été, période pendant laquelle la nuit est quasi inexistante. Aster montre la descente aux Enfers d'un couple déjà arrivé plus bas que terre. La société qui régit cet endroit n'aura donc que faire des liens préalablement tissés, le destin n'est désormais plus entre les mains de nos protagonistes. Il faudra en charmer un, en embrigader une autre... en éliminer certains.
Midsommar fonctionne ainsi comme un tourbillon horrifique dont il est difficile de sortir indemne. La violence, graphique par moments, n'en est pas moins noble - les scènes de sacrifice n'ont jamais été aussi sublimes. Ce point de non-retour, qu'aime filmer Aster dans le moindre de ses détails, est aussi stylisé que travaillé dans la minutie. Entre ces plans mathématiquement réfléchis, une photographie tout simplement renversante signée Pawel Pogorzelski et une bande-originale hantée du producteur britannique Bobby Krlic régissent l'écriture de ces personnages torturés, en pleine catharsis.
Midsommar est un film sur les rivalités, l'épuisement des relations, l'effritement des ambitions que nous avons les uns par rapport aux autres. En partant de ce parti pris plutôt pessimiste, demeure en façade l'évolution de la féminité ; de la perdition à l'ascension, l'émancipation. Dans le spirituel (grâce ?), se terre la prise d'un pouvoir inattendu. Comme dans tout conte de fée, ou œuvre complète, une morale prédomine, sans pitié, jouissive. Et dans cet endoctrinement visuel que nous contemplons, ce soft power engendré par le cinéma, on se prosterne, éblouis par la lumière.
Midsommar d’Ari Aster, en salle le 31 juillet. Ci dessus la bande annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes annonces.