AVIS / CRITIQUE FILM - Si vous craignez que les surprises d’« À couteaux tirés » soient divulgâchées à travers cet article, n’ayez crainte, il est vierge de tout spoiler. En revanche, vous y trouverez quelques raisons de ne pas manquer la réjouissante partie de Cluedo concoctée par Rian Johnson, dans laquelle l’excellent Daniel Craig mène l’enquête.
Après le mastodonte Star Wars, épisode VIII - Les derniers Jedi, Rian Johnson s’attaque avec À couteaux tirés à un genre que les fans d’Agatha Christie et d’Alfred Hitchcock maîtrisent sur le bout des doigts : le Whodunit. Conscient que les enquêtes à tiroirs ont donné naissance à de véritables merveilles au cinéma, du Corbeau aux Huit salopards, en passant par Gosford Park, le réalisateur et scénariste prend un malin plaisir à se défaire de certains codes, comme il l’avait d’ailleurs fait avec la mythologie des Skywalker. En résulte un polar qui devrait surprendre les plus fins limiers.
Un suspense rondement mené
Contrairement au Crime de l’Orient Express, À couteaux tirés ne prend pas le temps de dresser le portrait de la victime avant sa mort brutale et inattendue. Ici, le cadavre d’Harlan Thrombey, écrivain qui a bâti sa fortune sur ses intrigues policières ingénieuses et tordues, n’est déjà plus très frais lorsque le film débute.
Rian Johnson nous plonge immédiatement dans les interrogatoires des principaux suspects, à savoir les membres de la famille Thrombey, tous plus cupides les uns que les autres. Sous le regard amusé du détective Benoît Blanc, les personnages tentent de dissimuler les secrets qui pourraient les faire flancher et salir leur merveilleuse réputation.
Le cinéaste joue avec les fins imaginées par le richissime auteur de polars pour tromper le spectateur sur la vérité autour de ce décès. Il investit par ailleurs parfaitement le manoir d’Harlan Thrombey et profite de sa topographie, sa grandeur, ses passages secrets et ses pièces difficilement accessibles pour renforcer les doutes et la suspicion.
Mais à la moitié du film, le réalisateur balance un twist comme si de rien n’était, qui vient renouveler les principaux enjeux. Si les amateurs du genre se régaleront avec la traditionnelle recherche du coupable, À couteaux tirés a le mérite de ne pas reposer uniquement sur ce mécanisme éculé. En se focalisant sur un personnage en particulier, le long-métrage casse les règles établies du genre et s’offre quelques digressions savoureuses, avant l’arrivée des révélations finales un poil convenues. Malgré cette légère déception, la sensation de s’être fait berner, alors que les indices étaient bel et bien là, et le plaisir de se faire manipuler sont présents. Que demander de plus ?
Un casting parfait
Si l’intrigue d’À couteaux tirés fonctionne aussi bien, c’est également parce que Rian Johnson et ses interprètes n’ont pas ménagé leurs efforts sur la caractérisation des personnages. Tous sont parfaitement identifiables et joyeusement caricaturaux, et le spectateur se délecte de les voir s’enfoncer dans leur arrogance et leur envie de bénéficier du testament.
Dans cette volonté de s’en mettre plein les fouilles tout en se faisant passer pour d’honnêtes citoyens ayant mérité tous leurs privilèges, le couple formé par Jamie Lee Curtis et Don Johnson, ainsi que la veuve esseulée interprétée par Toni Collette, se posent comme des modèles. Les séquences où l’héritage d’Harlan Thrombey est évoqué font d’ailleurs partie des plus cruelles, même si elles auraient pu pousser la méchanceté encore plus loin. Rian Johnson se fait plaisir en tapant sur les membres d’une caste à laquelle il oppose la modeste infirmière de l’écrivain campée par Ana de Armas, la révélation du film. La comédienne appuie merveilleusement bien sur son innocence apparente et ne baisse jamais la garde face aux positionnements idéologiques ridicules de la famille Thrombey, ce qui la rend redoutable, et donc elle aussi suspecte.
Mais le protagoniste le plus réussi reste le détective Benoît Blanc. Comme il l’avait fait dans l’excellent Logan Lucky, Daniel Craig met de côté sa torpeur habituelle et s’en donne à cœur joie en incarnant cet enquêteur toujours concentré malgré son caractère lunaire. Véritable allié du spectateur, le comédien gagne sa complicité dès son entrée, à la fois mystérieuse et hilarante. Après cette première apparition, l’envie de le voir démêler ce véritable sac de nœuds ne faiblit jamais jusqu’à la conclusion.
Jouant en permanence sur les ruptures de rythme et de ton, ainsi que sur le caractère trompeur des ellipses et des flashbacks, À couteaux tirés est une enquête sinueuse dans un labyrinthe prenant la forme d’un manoir. Les fans de Whodunit devraient adorer.
À couteaux tirés de Rian Johnson, en salles le 27 novembre 2019. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.