CRITIQUE / AVIS FILM - Edouard Baer réunit des artistes à La Closerie des Lilas pour un repas survolté dans "Adieu Paris". Une comédie rythmée par l’énergie de ses acteurs et par ses dialogues réjouissants, mais teintée d’une mélancolie qui finit par prendre le pas.
Adieu Paris : le rendez-vous des artistes
L’ouverture d’Adieu Paris laisse espérer une rencontre survoltée. Dans une rue parisienne, Benoît (Benoît Poelvoorde) se réjouit auprès de sa compagne Isabelle (Isabelle Nanty) de pouvoir assister à un déjeuner avec des artistes qu’il admire.
Ravi d’être intégré à cette bande, Benoît déchante lorsqu’il est froidement accueilli par ses pairs à La Closerie des Lilas après une arrivée en trombe. Pour autant, il refuse de partir et observe avec frustration, assis au bar, les retrouvailles annuelles entre ces écrivains, comédiens, metteurs en scène et autres sculpteurs.
Pourtant, à y regarder de plus près, les choses n’ont pas l’air si simples pour Alain (Jackie Berroyer), Jacques (Pierre Arditi), Enzo (Bernard Murat), Pierre-Henry (Bernard Le Coq), Bertrand (Daniel Prévost) et Louki (François Damiens), le dernier arrivé dans le groupe. Au cours de ce repas qui s’éternise, des fêlures se révèlent au sein des amitiés. Pour certains, l’envie de se lancer dans de longues discussions s’est dissipée en vieillissant, tandis que d’autres s’aperçoivent que leur pouvoir de séduction s’est étiolé avec le temps.
De trop vieux copains
Avant que le déjeuner vrille, quelques éléments laissent entendre que la bande est déjà morte, dès le moment où certains de ses membres s’interrogent sur sa raison d’être. Jackie Berroyer, extrêmement touchant dans son jeu fatigué et sa lucidité, se demande s’il a vraiment envie d’aller à cette réunion. Gérard Depardieu ne cesse quant à lui de retarder son arrivée, préférant éviter les mondanités de départ.
Des signes de la désintégration d’un groupe évoquant ceux que formaient notamment Jean-Paul Belmondo, Jean Rochefort et Jean-Pierre Marielle, souvenirs d’un Paris quasiment disparu selon Édouard Baer. Pour autant, le réalisateur et acteur ne traite pas cet effondrement avec nostalgie.
Adieu Paris ne lance pas un regard ému au passé, ce qu’il aurait pu faire sans la moindre difficulté grâce à un casting qui représente tout un pan du cinéma et du théâtre francophones. Le long-métrage préfère dresser le constat d’un présent plutôt moche, plutôt terne et déprimant, utilisé à merveille pour enchaîner les dialogues féroces et hilarants. Refusant l’hypocrisie et la fausse politesse, Daniel Prévost se déchaîne par exemple dès son entrée à La Closerie des Lilas puis tout au long du film, n’hésitant pas à rappeler à ses interlocuteurs réfugiés derrière leur ego qu’ils ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes.
Quand la mélancolie s’en mêle
Edouard Baer s’est en partie inspiré de l’ouverture d’Husbands de John Cassavetes pour capter l’énergie d’un repas et l’absence de repères de temporalité. Dans cette superbe introduction, trois amis se saoulent après la mort du quatrième membre de leur groupe. Dans Adieu Paris, les verres de vin s’enchaînent mais l’ivresse s’efface, une fois la joie des retrouvailles retombée.
L’aigreur et la mélancolie prennent le dessus et terminent de disloquer la bande. Le propriétaire du restaurant incarné par le regretté Jean-François Stévenin est triste car personne n’a relevé le fait qu’il s'est coupé la moustache. Jackie Berroyer préfère aller discuter avec les cuisiniers. Bernard Murat et François Damiens finissent par s’engueuler sur l’argent. Toujours dans son coin, Benoît Poelvoorde réalise qu’il passe pour un idiot. Enfin, Yoshi, l’artiste interprété par Yoshi Oida en l’honneur duquel le déjeuner est organisé, s’endort.
Les interludes centrés à chaque fois sur un personnage différent se multiplient et les enferment de plus en plus dans leur solitude. Adieu Paris dure environ 1h30 mais parvient à convaincre le spectateur à travers des ellipses et des coupures parfois abruptes que le repas n’a que trop duré. Lorsque le moment de quitter la table se fait sentir, le désarroi, l’impression d’être vaseux et le retour à la réalité envahissent l’écran.
Vieillir est grotesque, mais moins que de se raccrocher à un passé qui n’existe plus que dans des souvenirs trop vagues, semble dire le film. Un constat amer et en parfaite adéquation avec notre époque pleine de changements. La solution la plus saine est peut-être de ne pas se rendre au déjeuner, comme Gérard Depardieu. Mais dans le cas présent, le spectateur aurait raté quelque chose.
Adieu Paris d’Edouard Baer, en salle le 26 janvier 2022. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes les bandes-annonces.