AVIS / CRITIQUE FILM - Avec « Adoration », Fabrice Du Welz dévoile un récit initiatique lancinant et furieux, dans la lignée de son « Alléluia ». Ce film troublant raconte l’histoire déchirante de deux adolescents prêts à tout pour vivre leur amour absolu, loin du monde des adultes. Avec ce drame, Fantine Harduin et Thomas Gioria, les révélations de « Happy End » et « Jusqu’à la garde », confirment qu’ils sont deux comédiens à suivre de très près.
Après s’être inspiré de l’histoire des « Lonely Hearts Killers » avec Alléluia, Fabrice Du Welz met en scène une autre passion dévorante dans Adoration. Cette fois-ci, l’histoire d’amour incandescente que filme le réalisateur belge concerne deux adolescents.
Le premier se prénomme Paul. Candide et solitaire, ce garçon vit seul avec sa mère, qui travaille dans une clinique psychiatrique autour de laquelle il passe ses journées en arpentant la nature et en se passionnant pour l’ornithologie. La seconde s’appelle Gloria, et vient d’être prise en charge dans l’établissement lorsqu’elle fait la connaissance de Paul. Alors que des liens d’amitié se développent entre les deux adolescents, l’irréparable est commis et la fuite devient nécessaire. Débute alors un périple au cours duquel la fascination de Paul pour Gloria ne cesse de grandir, au même titre que ses inquiétudes et ses hésitations.
Un conte désenchanté
Le film s’ouvre sur une citation de Boileau-Narcejac, qui résonne comme un appel à l’imaginaire. Les écrivains auxquels on doit notamment D’entre les morts, qu’Alfred Hitchcock a adapté au cinéma avec Sueurs froides, affirment qu’il « dépend de chacun de nous de réveiller les monstres et les fées ». Des mots qui font écho à l’entreprise morbide du médecin incarné par Pierre Brasseur dans Les Yeux sans visage, qui bénéficiait d’un scénario concocté par le duo de romanciers, associés pour l’occasion au grand Claude Sautet. À l’inverse de ce personnage machiavélique, prêt à toutes les immondices pour réparer le visage de sa fille, Paul réveille malgré lui un monstre et une fée dans Adoration.
Dans la première partie du long-métrage, Fabrice du Welz confronte l’adolescent innocent à un drame d’une violence inouïe. Se dresse alors un dilemme pour le jeune homme : faut-il prendre la fuite pour préserver la liberté fragile de son amie ou s’en remettre à un symbole autoritaire injuste et oppressant, à savoir les adultes ? En évoquant furtivement la relation troublante entre Paul et sa mère, le réalisateur rend sa décision extrêmement cohérente.
Débute ensuite un voyage parsemé de quelques moments solaires, à commencer par l’apparition réconfortante de Benoît Poelvoorde, particulièrement touchant dans le rôle d’un ermite bienveillant et hors du temps. Mais la plupart du temps, c’est l’inquiétude et les hésitations de Paul qui prennent le dessus. Son incapacité à agir, extrêmement légitime, ne fait qu’accroître le mal-être de Gloria, qui aimerait pourtant s’accrocher à lui. En résultent des scènes déchirantes où la puissance de l’amour absolu laisse place à la peur, puis à l’horreur.
Une maîtrise formelle impressionnante
À l’inverse des précédents films de Fabrice du Welz, de Calvaire à Message from the King, la violence apparaît rarement à l’écran dans Adoration. Elle passe avant tout par les émotions de ces deux personnages qui, malgré leurs efforts pour s’aimer et tout oublier, sont constamment rattrapés par la réalité. Quoi qu’ils fassent, la douleur de Gloria resurgit, tout comme la peur de Paul. Au final, le monde des monstres et des fées demeure inaccessible pour ces deux jeunes qui, à la manière du couple de La balade sauvage, en arrivent toujours au pire pour s’accrocher au semblant de liberté qu’il leur reste.
Si les plans aériens en pleine nature s’avèrent d’abord libérateurs, et laissent croire qu’une issue paisible est envisageable, ils deviennent progressivement oppressants à force d’être répétés. Après Alléluia, Fabrice du Welz refait équipe avec le chef opérateur Manuel Dacosse (Grâce à Dieu) et opte pour une épure qui ne freine en rien la densité du récit, bien au contraire.
Le cinéaste fait par ailleurs le choix de ne pas en dire trop sur le passé de ses personnages. La mise en scène suffit à donner le sentiment que Paul n’a jamais été épaulé, et que Gloria a vécu des drames indicibles. Le silence est souvent plus évocateur que les explications stériles, surtout dans le cinéma de genre, et Fabrice du Welz le maîtrise parfaitement. C’était d’ailleurs les non-dits qui rendaient Jacob King aussi charismatique que redoutable dans l’excellent Message from the King.
Ici, ils donnent au spectateur le sentiment de contempler un descendant de La Nuit du chasseur, où les enfants ne fuient pas un prêcheur enragé mais leur véritable nature et leur passé. Intense, troublant et porté par deux acteurs excellents - Fantine Harduin et Thomas Gioria -, Adoration est un superbe drame sur la découverte des sentiments et des corps, accompagnée de leur destruction. L’un des premiers coups de cœur de 2020, assurément.
Adoration de Fabrice du Welz, en salles le 22 janvier 2020. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.