CRITIQUE / AVIS FILM - "Alice et le Maire" est une plongée jubilatoire et très critique dans le monde des collectivités territoriales et de la politique. Avec Fabrice Luchini et Anaïs Demoustier.
Rarement affiche aura été à ce point à l’image de son sujet : celle de Alice et le Maire donne en effet à voir le Maire de Lyon, Paul Théraneau (Fabrice Luchini), très à l'écoute de la brillante philosophe Alice Heimann (Anaïs Demoustier, parfaite). Penchée vers lui, elle délivre ses pensées, il boit ses paroles, s'en inspire, s'en délecte. C’est sa chef de cabinet Isabelle (Léonie Simaga) qui a eu la bonne idée de les présenter, car elle a compris que Alice pouvait l’aider à continuer à croire en son travail et à le reconnecter à ses idées.
Malgré leurs différences de statut, de milieu, d’éducation, de formation, d’âge, de sexe et même d’idées politiques, ils vont pourtant former un duo improbable, mêlé d’admiration, de bienveillance et de moquerie, mais aussi de vérité et de rêves. Paul est un animal politique blasé, qui n’arrive plus à penser par lui-même. Le réalisateur Nicolas Pariser a spécialement écrit le rôle pour Fabrice Luchini qui, les yeux écarquillés de surprise ou la bouche emplie de dédain, apporte à son personnage la sobriété, la délicatesse et la profondeur de réflexion nécessaires pour comprendre que cet homme brillant a perdu son mojo et sa niaque pour le combat.
Mais quoi de plus normal puisque Paul évolue depuis trente ans dans un milieu endogène qui se regarde le nombril et s’auto-félicite, un entre-soi de politicards, de conseillers et de fonctionnaires plus lèche-bottes et stratégiques les uns que les autres ? Des béni-oui oui qui passent leur temps à encenser le Maire, à ne pas oser le contredire, à prouver sans cesse leur loyauté. On croise ainsi Melinda (Nora Hamzawi), la chef de service de Alice, qui lui explique gentiment l'organisation, ou Daniel (Antoine Reinartz), directeur de la communication, qui au contraire, a peur qu’elle lui pique sa place.
Politique et philosophie: le choc entre deux mondes
Échanger avec Alice, c’est l’occasion pour Paul d’avoir à ses côtés du sang neuf, un souffle d’air frais, un regard critique, une vraie intelligence, une personne neutre qui ne serait pas sensible aux enjeux de pouvoir, une autre liberté de ton et de parole. Mais aussi une naïveté certaine, car Alice ne fait pas partie du sérail et n’en possède pas les codes. Tout l’intérêt de Alice et Le Maire, c’est l'opportunité pour le spectateur de plonger dans les méandres d'une grande collectivité territoriale grâce à son regard non initié.
A la manière de Arthur Vlaminck (Raphaël Personaz) dans Quai d’Orsay de Bertrand Tavernier, Alice déboule dans la Mairie comme un chien dans un jeu de quilles, croyant que sa seule bonne volonté va faire bouger les lignes. Considérée comme le nouveau joujou du Maire, elle va évidemment se heurter à ses proches, ceux qui savent qu’ils vont rester alors qu’elle n’est que de passage. Ils lui reprochent précisément ce qu’ils n’ont plus ou ne font plus : la taille de son bureau, ses décisions, et surtout sa nouvelle influence. Et le fait de voir Alice, même si elle n’est pas dénuée d’ambition ni née de la dernière pluie, se retrouver parfois démunie face à des attaques gratuites et injustes, crée une très forte empathie.
Car de pouvoir, il est évidemment question dans Alice et le Maire, et le réalisateur Nicolas Pariser ne se gêne pas pour critiquer ouvertement et avec beaucoup d’ironie toute cette bande autour du Maire, lui compris, et leur jargon nébuleux et incompréhensible pour le commun des mortels. Le spectateur qui travaille dans ce milieu, n’ira peut-être pas voir à l’écran ce qu’il côtoie déjà tous les jours. Par contre, le spectateur qui n'est pas nécessairement au fait du fonctionnement d’une mairie ou d’un parti politique, saisira bien mieux le flou, le hors-sol, les éléments de langage, le vide voire l’incompétence et l’inconsistance d’une novlangue dans lesquels fonctionnaires et conseillers peuvent allègrement se noyer et se déconnecter du monde réel.
Le monde de l’art et ses relations avec le monde des collectivités, subventions et autres jubilés, n’est pas non plus épargné de critiques très drôles. Que ce soit par le biais d’une artiste incomprise Delphine (Maud Wyler) ou par celui de l’artiste fictionnel Patrick Brac (Thomas Chabrol), dont on devine l’inspiration probable dans les traits du créateur Philippe Stark. Enfin Dans Alice et le Maire, le réalisateur porte un regard peu amène sur la politique. Il offre d’ailleurs une analyse assez fine, presque méprisante, des raisons de la disparition des partis politiques traditionnels, comme le Parti Socialiste. A ce moment de son film, il prend pourtant le risque de ne pas passionner le spectateur, là où Michel Leclerc proposait une analyse autrement décalée dans Le nom des gens. Mais grâce à son rythme, son humour et ses deux personnages principaux attachants, Alice et Le Maire se révèle un film jubilatoire, tout à fait en prise avec la société et le monde des politiques d'aujourd'hui.
Alice et le Maire de Nicolas Pariser, en salle le 2 octobre 2019 – Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.