Amal : la Révolution Égyptienne à travers le regard d'une jeune fille

Amal est une jeune fille rebelle et déterminée, un peu garçon manqué. Elle râle, se dispute avec sa mère, donne son avis sur tout. Comme toutes les adolescentes de 15 ans, en somme. Sauf qu'Amal vit en Égypte et que l’on est en 2012, un an après la Révolution Égyptienne et la démission du président Hosni Moubarak. Dans Amal, le réalisateur Mohamed Siam, à l’instar de Boyhood, a pris le parti de suivre clandestinement la jeune fille sur six années d’affilée. La façon dont il l’accompagne dans sa vie quotidienne et met en exergue le regard assez affûté qu’elle porte sur cette Révolution, est réellement passionnante. Il n’a même pas besoin de la rendre sympathique, elle est tout simplement confondante de naturel et de puissance de vie. Et le fait d’intercaler dans ses propres images les films de famille montrant Amal filmée par son père à chacun de ses anniversaires, donne d’emblée l’impression au spectateur de faire partie de sa famille, sans la juger.

Surtout que l’adoration de ses parents semble avoir donné à la petite fille unique bien plus que des ailes. Comment aurait-il pu en être autrement avec un père qui l’encourageait à faire ce qui lui plaît et à n’avoir peur de rien ? Une assurance et une gouaille assez rares dans ce pays. Car l’Égypte de 2011 est un monde d’hommes qui décident pour les femmes. Ce n’est plus l’Égypte de 1953, du temps où le leader incontesté Nasser riait de la demande déplacée des Frères Musulmans de faire porter le voile aux femmes.

Une jeune fille peut-elle avoir sa place dans une Révolution d'hommes ?

Amal montre les images des manifestations qui ont eu lieu sur la place Tahir, menées par des hommes. On apprend ainsi que son père et son ami sont morts, renforçant vraisemblablement la rage de la jeune fille à prendre part à cette insurrection. Film profondément féministe, Amal met aussi très bien en évidence les difficultés et les risques pour les femmes de faire la révolution, même si elles ont le droit de vote. On regrette pourtant que le réalisateur n’ait pas profité de son film pour rappeler que de très nombreuses femmes avaient été agressées par des groupes de manifestants.

Mais la jeune fille, inconsciente ou tête brûlée, s’insurge au même titre que les hommes. Elle se coupe les cheveux, cache sa tête sous une capuche et n’hésite pas à provoquer les policiers. Elle chante et manifeste aux côtés de ses amis, qui la protègent et lui interdisent parfois de les accompagner. Pourtant, leur petite mascotte, refusant d’être traitée de gamine, ne les écoute pas et il est habilement suggéré par le réalisateur qu’ils respectent son combat.

Car le film permet de faire réfléchir sur les motivations et l’éveil d’une conscience politique et sur son évolution au gré des années. Mais aussi sur le regard porté par ses amis et sur celui que la jeune fille va porter sur elle-même, en devenant une femme. On s’amuse ainsi à écouter Amal enjoindre sa mère à ne voter pour aucun des candidats. Le conflit intergénérationnel entre ces deux femmes, l’une issue d’un monde passé et l’autre d’un monde en devenir, est très bien saisi par le réalisateur.

Mais la tête nue revendiquée en 2012 se voile dès 2013, avec la venue des Frères Musulmans au pouvoir. Puis passent 2015, 2016 et enfin 2017. Amal traîne désormais avec d’autres filles, plus intéressée par le maquillage et la danse. Elle lâche peu à peu prise avec ses revendications sur le terrain, mais ouvre, on l’espère, une voie vers une autre forme de lutte. Amal se révèle donc un formidable documentaire, qui interroge de façon aussi fascinante que désespérante, sur le pouvoir de concilier l’emprise du monde environnant avec sa conscience politique. Et sur le combat à mener afin que les idées et les envies des femmes puissent ne pas être que diluées dans une pensée unique et rétrograde.

Amal de Mohammed Siam, en salle le 20 février 2019. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.