CRITIQUE FILM- "Another Day Of Life" plonge le spectateur dans une remarquable reconstitution visuelle et sonore de la guerre civile en Angola en 1975. Et pour un premier long métrage, c’est un vrai coup de maître.
Époustouflant, exaltant, grandiose sont les adjectifs qui sont à même de décrire le ressenti et le souvenir du film Another Day Of Life. Ce n’est certes pas le premier film hybride, qui mélange allègrement animation, images d’archives et images actuelles. Récemment, on a été gâté avec les non moins excellents Chris The Swiss ou Samouni Road. Mais Another Day of Life est quant à lui adapté du livre éponyme écrit par le reporter de guerre polonais Ryszard Kapuściński. C’est aussi un pionnier du genre, car il utilise la technique de motion capture, conférant ainsi au film réalisme et humanité.
Le film est clairement à la hauteur de l’aventure du reporter racontée par les réalisateurs: dense, riche, en mouvement. Mais par dessus tout, le film permet de saisir extrêmement bien les tenants, aboutissants, protagonistes et enjeux de la sanglante guerre civile en Angola. Conséquence de la Révolution des Œillets au Portugal, elle débuta en 1975. Il y a en effet une volonté très grande de la part des réalisateurs Raúl de la Fuente et Damian Nenow de contextualiser du mieux possible cette période et l’atmosphère chaotique et la tension qui régnaient. Another Day of Life possède de fait une valeur didactique très forte à propos de ce pays, dont l’histoire est finalement assez méconnue.
Le film montre brillamment la façon dont la guerre civile en Angola s’est invitée sur le terrain du conflit international. Tel le symbole sur le continent africain de la Guerre froide, et les interventions de la Russie, de la CIA, mais aussi de l’Afrique du Sud et de Cuba. Le mot confusão qu’emploient les angolais pour décrire une situation chaotique, décrit d’ailleurs très bien ce qu’a ressenti sur place le reporter de guerre. Car c’est à travers ses yeux et son point de vue que les réalisateurs ont souhaité placer le spectateur.
Et l’utilisation du procédé de l’animation prend ici toute son envergure. Il permet en effet d’aller au delà de ce qu’un film peut offrir, à savoir la possibilité de visualiser de plein fouet les émotions de Kapuściński. On se retrouve comme propulsé dans le cerveau du reporter, de ses angoisses, ses incertitudes, ses doutes, ses surprises, son courage, voire son inconscience, mais aussi de ses cauchemars.
La guerre civile en Angola, comme si on y était
Ce qui est également passionnant dans Another Day of Life, c’est l’incrustation en alternance avec l’animation des témoignages des survivants de cette période. Si Kapuściński est mort en 2007, ceux qu’il a côtoyés ne l’ont pas oublié. Ils connaissent les risques qu’il a pris pour exercer du mieux possible son métier de journaliste, et tenter de comprendre et relater les faits violents. Ainsi ses deux compagnons journalistes Quieroz et Alberto ou encore le Commandant Farrusco, soldat portugais qui avait changé de camp en faveur des angolais. La prise de conscience de ce dernier rappelle d’ailleurs celle du soldat médecin portugais António Lobo Antunes devenu écrivain, évoquée dans Lettres de la guerre. On est par contre un peu moins friand des images contemporaines des enfants et des danses qui égrènent le film de manière trop anachronique. Et ce,même si elles font vraisemblablement miroir aux enfants soldats enrôlés dans les différents camps et aux civils qui ont subi la guerre.
Enfin, Another Day Of Life offre une réflexion profonde sur l’éthique du reporter de guerre et la distance objective qu’il se doit de conserver. Comment, en effet, ne pas s’impliquer dans le conflit et ne pas être tenté de prendre partie, dès lors qu’on rencontre les protagonistes et qu’on traverse la guerre à leurs côtés? Chris The Swiss posait d’ailleurs les mêmes questions: comment rester neutre, et quel est le prix à payer? Faut-il impérativement tout rapporter pour faire correctement son métier ou doit-on faire des choix, plus en rapport avec son humanité et sa conscience? Comment faire, en somme, pour accepter de n’être qu’un témoin dans la guerre de l’information et du scoop?
Les réalisateurs, qui ne portent aucun jugement, retranscrivent d’ailleurs très bien l’attachement de Kapuściński envers les combattants. Il les a suivis sur le terrain et les a parfois vu mourir, mais il a estimé que son rôle était de les mettre en exergue dans son livre. Film puissant qui donne envie d’en savoir encore plus sur l’Angola, Another Day Of Life rend un vibrant hommage aux combattants et aux victimes d’une longue guerre civile, mais aussi au courage de Kapuściński.
Another Day of Life de Raul de la Fuente et Damien Nenow, en salle le 23 janvier 2019. Ci-dessus la bande-annonce.