CRITIQUE / AVIS FILM – Après l’odyssée spatiale d’"Ad Astra", James Gray revient à New York avec "Armageddon Time". Le cinéaste replonge dans sa jeunesse et emmène le spectateur dans le Queens où il a grandi, livrant l’une de ses fables familiales les plus abouties doublée d’un propos politique puissant.
Armageddon Time : ensemble pour la fin du monde
Au fil de sa carrière, James Gray a fait de la famille sa thématique centrale et n’a pas toujours porté un regard tendre sur le sujet. Récemment, le cinéaste filmait une confrontation spatiale cruelle entre un fils et son père dans Ad Astra. Si la tristesse du long-métrage ne s’est pas dissipée dans Armageddon Time, la colère et l’abandon ont quant à eux laissé place au pardon.
Le drame débute à l’aube des années 80 dans le quartier du Queens, où le réalisateur a passé la majeure partie de son enfance. Alors que Kurtis Blow et le Sugarhill Gang résonnent sur les ondes radio et que les États-Unis s’apprêtent à connaître une grande période de changement avec l’arrivée de Ronald Reagan au pouvoir, le jeune Paul Graff (Michael Banks Repeta) fait son entrée en sixième et multiplie les bêtises avec son ami Jonathan (Jaylin Webb).
Seul son grand-père Aaron (Anthony Hopkins) parvient à le canaliser, tandis que ses parents Esther (Anne Hathaway) et Irving (Jeremy Strong) ont du mal à faire valoir leur autorité. Leur existence va être chamboulée par plusieurs événements, dont la peur d’une guerre nucléaire engendrée par l’élection du nouveau président.
Armageddon Time désarçonne dans un premier temps le spectateur. James Gray enchaîne les moments de vie, se concentrant sur des repas mouvementés, des éclats de violence et des démonstrations d’amour bouleversantes, retranscrivant ainsi le quotidien d’une famille modeste mais unie, encore marquée par le souvenir de la Seconde Guerre mondiale.
En parallèle, l’insouciant Paul fait les 400 coups et développe ses talents pour le dessin, encouragé par son grand-père et sa mère. Avec eux, rien ne peut lui arriver et la sublime photographie automnale de Darius Khondji n’altère jamais la chaleur émanant du foyer, sur lequel James Gray pose un regard tendre mais nuancé, n’oubliant pas de montrer les erreurs des parents et la pression face aux difficultés financières.
L’Amérique, terre de tous les possibles et du mérite
C’est lorsque que tout commence à s’écrouler que le spectateur comprend où James Gray veut l’emmener. Démunis face au comportement de leur garnement, Esther et Irving décident de l’inscrire dans la stricte Kew-Forest School, de laquelle le riche promoteur immobilier Fred Trump est l’un des administrateurs, fier d’y avoir inscrit ses enfants Maryanne et Donald.
En intégrant cet établissement, Paul découvre le sens du mot "élite" ainsi que les bienfaits supposés de la méritocratie, mais aussi le racisme et le fossé entre les classes sociales. Des notions qui s’expriment notamment à travers le rejet de ses camarades, et qui ne l’aident pas à aller mieux. À cela s’ajoutent plusieurs drames qu’un enfant peut difficilement porter sur ses frêles épaules. Comme le jeune Antoine Doinel du classique de François Truffaut, le garçon va donc perdre son insouciance.
Une interprétation parfaite
Si le jeune Michael Banks Repeta impressionne, difficile de ne pas retenir avant tout les performances de ses partenaires adultes. Dans la peau d’une mère qui n’arrive pas à se fâcher et qui met tout en œuvre pour que son fils ne grandisse pas trop vite, Anne Hathaway offre au film certaines de ses plus belles scènes, à l’image d’un plan terrassant où, en retrait dans sa voiture, elle observe Paul en train de vivre l’un des instants les plus importants de sa vie.
Jeremy Strong continue quant à lui de prouver qu’il est l’un des acteurs les plus talentueux du moment. Le tendu Kendall Roy de Succession laisse ici place à un père maladroit, oscillant entre la tendresse absolue et la dureté. L’un de ses ultimes échanges avec Paul vaut à lui seul le déplacement au cinéma, résumant l’incapacité d’un père à protéger son enfant et la nécessité de le confronter aux injustices qui l’entourent. Enfin, après The Father, Anthony Hopkins hérite d’un nouveau rôle majeur de sa carrière. Figure lumineuse d’Armageddon Time, Aaron est le personnage qui rappelle que la fin du monde n’est pas pour tout de suite, même si les éclaircies se font rares.
Armageddon Time de James Gray, en salles le 9 novembre 2022. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces. Le film était présenté au Festival de Cannes 2022 en compétition officielle.