CRITIQUE / AVIS FILM – Après "Madre" et la série "Antidisturbios", Rodrigo Sorogoyen est de retour avec "As bestas". Un thriller déroutant dans sa narration qui continue d’imposer le cinéaste comme l’un des plus intéressants de sa génération, où Marina Foïs et Denis Ménochet se retrouvent pris au piège dans un petit village espagnol.
As bestas : la synthèse du cinéma de Rodrigo Sorogoyen
Après s’être consacré à de nombreuses séries télévisées, Rodrigo Sorogoyen se fait remarquer en 2017 avec le polar Que Dios nos perdone, dans lequel deux policiers traquent un tueur dans les rues de Madrid lors de la venue du pape Benoît XVI. Il signe aussi le thriller haletant El Reino, sur un homme politique qui se lance dans une course infernale alors qu’il est impliqué dans une affaire de corruption. Viennent ensuite Madre, où une mère ne se remet pas de la disparition de son enfant, puis la série Antidisturbios sur les violences policières.
En quatre projets, il s’impose comme l’un des réalisateurs les plus intéressants de sa génération, capable de mettre en scène des séquences nerveuses, des récits haletants doublés de charges politiques puissantes ainsi que des drames humains perturbants et bouleversants. Son nouveau long-métrage, As bestas, est la synthèse de tous ces éléments.
Ce thriller se déroule dans un petit village de Galice, où Olga (Marina Foïs) et Antoine (Denis Ménochet) tiennent leur potager et s’occupent de leurs brebis. Le couple mène une vie paisible, malgré quelques tensions avec leurs voisins. Des tensions qui s’accentuent lorsqu’Antoine commence à répondre aux provocations de deux frères, Xan (Luis Zahera) et Lorenzo (Diego Anido), qui lui reprochent notamment d’avoir refusé un projet d’éoliennes dans la région par souci écologique.
Un film qui déjoue toutes les attentes
La première référence qui vient en tête devant As bestas est Les Chiens de paille. Comme dans le film avec Dustin Hoffman et Susan George, deux étrangers installés dans un village isolé sont pris à partie par ses habitants. Et comme dans le long-métrage de Sam Peckinpah, le récit va progressivement sombrer dans la violence, atteignant son point culminant au cours d’une scène magistrale durant laquelle un piège se referme sur un personnage.
Après de longs échanges agressifs où Rodrigo Sorogoyen dévoile son propos politique tout en faisant constamment monter la tension, les protagonistes explosent au cours de cette séquence qui prend le temps de confronter le spectateur à l’horreur, lui laissant un dernier espoir de voir la situation s’arranger, avant de l’étouffer complètement.
Une fois que l’on a montré le pire, que peut-il se passer ? Plutôt que de répondre aux attentes évidentes en se lançant dans une histoire de vengeance classique, le réalisateur et sa coscénariste Isabel Peña vont à l’opposé. La bascule narrative se fait avec une longue ellipse. C’était déjà le cas dans Madre, et les auteurs l’utilisent ici à merveille pour montrer l’évolution des personnages et l’impact de certains actes fous sur eux.
Le besoin de réponses
Un parti pris qui renforce la violence, mais pas dans le sens où le spectateur l’envisageait. La deuxième partie d’As bestas est un drame familial poignant, qui se penche notamment sur la question de quitter ou rester dans un endroit à la suite d’une tragédie.
À l’image de celui incarné par Marta Nieto dans Madre, l’un des personnages est rongé par le besoin de réponses concrètes. Tout l’enjeu final est donc de savoir si elles arriveront, ou non. Le fait de déplacer les attentes des spectateurs dessus renforce la puissance émotionnelle du film. Cela permet également à Rodrigo Sorogoyen de renouveler un genre codifié tout en continuant à développer son propre cinéma, toujours aussi passionnant.
As bestas de Rodrigo Sorogoyen, en salles le 20 juillet 2022. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces. Le film était présenté dans la section Cannes Première au 75e Festival de Cannes.