CRITIQUE / AVIS FILM - Malheureusement, l'accident industriel craint avec "Astérix et Obélix : L'Empire du Milieu" est bien arrivé. Cet accident prend la forme d'un cauchemar où rien n'est réussi, et où ses auteurs ont choisi pour tenter de rassembler le public un humour grossier ainsi qu'un défilé paresseux et insensé de "stars". On relève néanmoins un tour de magie intéressant : faire disparaître 65 millions d'euros en un claquement de doigts.
Vous aviez peur du résultat ? Vous allez être terrifié
Écrit avec un pied, tourné avec l’autre et monté avec ce qui reste, on se demande bien ce que Guillaume Canet a fait de ses mains sur cet Astérix et Obélix : L'Empire du Milieu. Pourtant, même si l’inconstance est devenue un trait propre à sa filmographie, on n’enlèvera pas au réalisateur un talent certain, souvent révélé dans sa capacité à s’aventurer hors de sa zone de confort.
À ce titre, il y avait d’ailleurs de l’enivrant et du touchant dans la folie qu’il infusait à son sous-estimé Rock’n Roll. Mais ici, pour cette super-production sur un monument culturel à la réputation mondiale, aucune folie, personnalité, ou décalage. Plutôt un simple geste : un coup de pied pour ouvrir en grand les portes d’un néant de cinéma.
Faux départ
Dans Astérix et Obélix : L'Empire du Milieu, on découvre nos deux Gaulois favoris sur un chemin de forêt où, passé cet étrange choix de faire disserter un Astérix déprimé sur le veganisme, on retrouve un cadre familier. Après une brève exposition des habitants célèbres du village qui résiste encore et toujours à l'envahisseur, un personnage inédit débarque, pâle copie du Numérobis de Jamel Debbouze dans Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre, Graindemaïs (Jonathan Cohen).
Celui-ci, en fuite depuis la Chine qu'il a quittée avec la fille de l'Impératrice, la princesse Fu Yi (Julie Chen) accompagnée de sa garde du corps Tat Han (Leanna Chea), demande à Astérix et Obélix de repartir avec eux pour sauver l'Impératrice et mettre un terme au coup d'état engagé par le félon Deng Tsin Quin (Bun-hay Mean) et son conseiller Ri Qui Qui (Manu Payet). S'ensuivent à partir de là des péripéties sans queue ni tête, des chamailleries puériles entre Astérix, Obélix et Graindemaïs, entrecoupées de caméos qui tombent systématiquement à plat.
Une caractérisation douteuse des personnages
Avant Astérix et Obélix : L'Empire du Milieu, quinze films ont été produits sur les aventures des célèbres Gaulois. Dix films animés et cinq films en prises de vues réelles. Tous sont l'adaptation d'un ou de plusieurs albums dessinés, à l'exception de l'animé 3D Astérix : Le Secret de la Potion Magique. C'est donc une première pour un long-métrage en prises de vues réelles, puisque le film de Guillaume Canet est lui aussi une création originale. La structure courante de la narration est donc évacuée, au profit d'une succession désincarnée de saynètes à l'humour au mieux grossier, au pire sexiste et raciste.
En effet, Graindemaïs et son oncle Épidemaïs (Ramzy Bedia), commerçants phéniciens installés en Chine, portent des perruques blondes afin de se faire passer à tout prix pour des Gaulois "authentiques" auprès de la riche clientèle chinoise. Clientèle qui, comme on le sait bien, "adore" les manières et la finesse de la culture française... Les personnages chinois sont ainsi développés dans des clichés, notamment ceux qui voudraient que la communauté asiatique soit petite de taille, humble, concentrée, de peu de mots et dure au mal. Bien évidemment, ces personnages connaissent les arts martiaux. Mais, entre autres approximations, la référence qui est faite à Karaté Kid indique que les auteurs du film n'ont pas vraiment fait dans le détail de ces cultures...
Une narration et une mise en scène ratées
À cette caractérisation très paresseuse et gênante des personnages répond donc le problème principal de la narration, une succession de sketches avec essentiellement des personnalités médiatiques, décorrélés les uns des autres et sans aucune incidence sur le développement de l’intrigue.
À côté de la nullité quasi délictuelle de l'écriture et des dialogues, ce problème de mécanique narrative donne l’impression de faire du surplace et s’exprime aussi dans une mise en scène ratée, où il n’y a aucun voyage physique. De la Gaule à la Chine, les extérieurs sont les mêmes, en intérieur les plans sont serrés sur des personnages qui s’agitent dans des décors de studio sans interagir avec. Il n’y a ainsi aucune profondeur - d'écriture comme de champ - de tout le film, absence d'autant plus rendue visible par un montage frénétique et des séquences dynamiques illisibles dès qu'elles ne sont pas pauvres.
Les effets spéciaux sont laids et poussifs, avec notamment une catastrophique et gênante démonstration d’art martial, et le recours aux perspectives forcées pour représenter la différence de gabarits entre Astérix et Obélix est aussi abusif qu'artificiel. Parce qu'en haut de la longue liste des erreurs d'Astérix et Obélix : L'Empire du Milieu, il y a aussi un réel problème de casting.
Un casting insensé
Dans ce film, des comédiens de renom côtoient des vedettes de la pop culture. Il y a donc, en plus de figures comme Guillaume Canet, Vincent Cassel, Jonathan Cohen et Marion Cotillard, Gilles Lellouche ou encore Pierre Richard, des célébrités comme Big Flo et Oli, Angèle, McFly et Carlito, Zlatan Ibrahimovic, Mathieu Chedid, etc. Pourquoi sont-ils là ? Même s'ils n'ont que des poignées de secondes pour apparaître, leur manque de talent pour le cinéma est criant. Mais pourquoi leur en vouloir, puisque ce n'est pas leur métier ?
Pourtant, selon les dires mêmes de Guillaume Canet, certaines recrues ont été mûrement réfléchies, comme celle par exemple de Bigflo et Oli : "Quand j’ai discuté avec Ramzy pour le personnage d’Epidemaïs, Bigflo et Oli étaient avec lui. On buvait un coup à Pigalle, je ne les connaissais pas personnellement mais j’ai de suite adoré leur énergie et j’ai pensé à eux pour jouer les vendeurs de Ramzy !". Ou encore, le casting de la chanteuse Pomme : "Pour Pomme, (à qui j’ai demandé d’interpréter la chanson en chinois du film), je l’ai vue chanter un titre en japonais sur Instagram pour Konbini et sa voix m’a bluffé...".
Bref, voici comment résumer en quelques mots toute l'intention, les problèmes et l'hypocrisie d'Astérix et Obélix : L'Empire du Milieu. Agaçant dites-vous ? le mot est faible.
Des comédiens sans direction
Côté comédiens de métier, Marion Cotillard incarne une Cléopâtre dépeinte comme hystérique et infidèle, Gilles Lellouche tente de reproduire les manières et les intonations de Gérard Depardieu sans y parvenir, Jonathan Cohen puise dans le personnage comique passe-partout qu'il s'est créé avec Serge le Mytho, José Garcia joue avec un accent odieux une caricature efféminée, Pierre Richard fait une figuration avancée...
Dans ce casting où tout fonctionne à l'envers, c'est finalement Vincent Cassel qui s'en tire le mieux, conférant à son personnage une nonchalance sans doute proche de celle avec laquelle l'acteur a abordé sa tâche. Il a l'air d'être le seul à s'amuser, et joue sur un registre vulgaire qui ne dépareille finalement pas de l'ensemble.
Guillaume Canet ne semble pas savoir quoi faire de son personnage Astérix, qu'il a choisi de montrer miné, en retrait, mal à l'aise. Un des problèmes du duo formé avec Obélix, au-delà de son cadrage raté, est que les deux Gaulois ont le même enjeu : ils sont tous les deux amoureux. Sitôt l'arrivée de Fu Yi et de sa garde du corps Tat Han, Obélix rougit pour la seconde et les ailettes du casque d'Astérix frétillent pour la première. D'une certaine manière, les deux héros veulent simplement tirer leur coup et s'en trouvent tout bêtes dès qu'ils doivent leur parler. Ce spectacle des héros transis, une récurrence pourtant dans leurs aventures, n'est ici ni drôle ou touchant, mais transmet plutôt un malaise.
La faute sans doute à des personnages si peu développés et tellement caricaturés que cette histoire de sentiments arrive comme un cheveu sur la fameuse potion magique.
"Guillaume, rends l'argent !"
Bien sûr, le film d'Alain Chabat est un sommet inaccessible, Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre frôlant la perfection. Mais à bien regarder, la majorité de la filmographie adaptée des aventures d'Astérix et Obélix est d'une bonne tenue, que ce soit le Astérix et Obélix contre César, les deux adaptations 3D d'Alexandre Astier et Louis Clichy, les dessins animés de 1968 et 1986 - pour n'évoquer que ces deux-là -... Leur humour, leur inventivité, leur affection pour l'oeuvre originale de ces adaptations ne constituent pas une compétition mais plutôt un long tir groupé, avec la même double visée : rendre hommage à la grande création de Goscinny et Uderzo, et célébrer l'amour et le respect du public à son égard.
Visiblement à contre-sens de cette intention, Guillaume Canet a cependant réitéré la recette de la tentative la moins réussie de cet ensemble, à savoir Astérix et les Jeux Olympiques. Alors que Laurent Tirard avait ouvert le chemin d'une première guérison avec Astérix et Obélix : Au service de Sa Majesté...
Si Astérix et Obélix : L'Empire du Milieu provoque une solide levée de boucliers arvernes, c'est parce que personne ne peut ignorer la démesure de son budget. En effet, celui-ci a été brandi comme un argument de vente, qui s'est mué en publicité mensongère. Mais où est donc passé l'argent ? Dans les cachets des caméos "prestigieux" ? La question n'est pas rhétorique : où est l'argent ? La pauvreté des décors, la pauvreté des effets spéciaux, la misère du cadre, la rapidité avec laquelle le casting apparaît et disparaît, impliquant que beaucoup n'étaient là qu'en coup de vent... Les arcanes du financement du cinéma sont certes obscures, mais il y a une limite à l'incompréhension lorsque 65 millions d'euros sont en jeu.
De l'erreur à l'irrespect
Cette très coûteuse aberration, dont ne reste en conclusion qu'une sensation de course à la laideur, pourrait n'être qu'un retentissant ratage. Si n'en émanait pas, pour parachever le travail, une odeur de mépris. Pourquoi, de tous les réalisateurs et réalisatrices du cinéma français, est-ce Guillaume Canet qui en a eu la charge ? Pourquoi un tel projet n'a pas été dirigé par Michel Hazanavicius, qui sait gérer l'ampleur d'une super-production ? Encore, ne voudrait-on pas voir le traitement que quelqu'un comme Noémie Lvovsky pourrait proposer ?Pourquoi Bruno Podalydès, avec son frère dans le rôle d'Astérix, ne s'y essaierait pas ? Voire même, Olivier Marchal, histoire de faire une heure de baston pour une autre de banquet ? Au point d'où il faudra repartir après la marque établie par Canet, on peut tout envisager.
On ne rit pas pendant Astérix et Obélix : L'Empire du Milieu, sinon de gêne. On ne s'émeut pas d'une manière heureuse, on s'émeut plutôt de la grossièreté avec laquelle "l'humour" du film joue sur des mécanismes datés et des représentations pour le moins confuses de ses personnages. Aucun voyage, aucune découverte, on n'est jamais surpris et rien ne reste en mémoire. Si ce n'est la sensation d'avoir pleinement perdu son temps, doublée de celle, plus embêtante, d'un doute quant à savoir si on ne viendrait pas de se faire insulter.
Astérix et Obélix de Guillaume Canet, en salles le 1er février 2023. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.