CRITIQUE / AVIS FILM – David Depesseville signe son premier long-métrage avec "Astrakan". Un drame sur une adolescence tourmentée, marquée par les abus, la misère et la tristesse, et porté par un jeune interprète particulièrement convaincant.
Astrakan : l’adolescence ne rapporte rien, ou si peu
Dès le début de son premier long-métrage, David Depesseville prouve qu’il manie l’art de la suggestion. Il suffit de s'attarder sur le placement de son personnage principal, un adolescent prénommé Samuel (Mirko Giannini), pour comprendre qu’il n’appartient pas à la famille à laquelle il aimerait s’intégrer et que celle-ci refuse de l’accepter. Il suffit d’un plan sur une camionnette ou d’une invitation à venir découvrir sa chambre pour deviner les abus commis par le frère de sa mère adoptive. Et il suffit de quelques moments qui captent son mutisme et son incapacité à communiquer pour percevoir la colère qui gronde en lui.
Au fil du film, les hôtes de Samuel incarnés par Bastien Bouillon et Jehnny Beth affirment l’avoir accueilli chez eux pour l’argent. Un maigre revenu qui ne comble en rien leurs problèmes financiers. À ces réflexions s’ajoute la violence physique. Des coups de ceinture que l’adolescent reçoit parce qu’il n’arrive pas à aller aux toilettes, souillant les sous-vêtements insuffisants de ses deux frères, probablement à cause de ses traumatismes.
Que ce soit dans son foyer ou en dehors, Samuel n’a aucun point de repère dans Astrakan. Il est cet étrange agneau noir que personne ne cherche à réconforter et qui en redemande lorsque la douleur s’abat sur lui, sans doute parce que la douleur est l’une des seules choses concrètes qu’il reçoit des autres. Un garçon qui parle peu mais que le réalisateur et son jeune interprète font communiquer par son regard et son langage corporel. Pour fuir le monde étriqué dans lequel il vit et attirer l’attention des autres, Samuel observe les grands espaces qui l’entourent, se réfugie sous une table et se jette sous une voiture.
Un cadre rarement exploré au cinéma
S’il filme la souffrance, la pauvreté et la solitude, David Depesseville montre aussi quelques accès de liberté, ainsi que des moments de tendresse et d’entraide. Le cinéaste ne juge pas ses personnages, leur apporte des nuances et s’intéresse à la capacité que les adolescents ont à tout accepter, à s’adapter et à transformer leur quotidien en aventure, aussi déplaisant soit-il. Un besoin d’évasion auxquels le choix du 16 mm et le grain qu’il apporte à l’image collent parfaitement, au même titre que le choix de tourner dans les forêts et les étangs déserts du Morvan.
Le format est également cohérent avec la longue séquence finale, un voyage mental dans le subconscient de Samuel où le spectateur se confronte à ses peurs, ses souvenirs et ses émotions enfouies. Une conclusion avec laquelle le réalisateur s’éloigne du naturalisme du reste d’Astrakan pour tendre vers l’onirisme. Si certaines des images appuient inutilement un propos déjà limpide malgré les ellipses et l’envie de David Depesseville ne pas briser les non-dits, elles synthétisent la rage et la confusion de cet enfant à travers une mise en scène sensorielle.
Malgré quelques effets hasardeux mais compréhensibles en raison de son modeste budget, qui viennent notamment plomber la radicalité voulue du final, Astrakan est une proposition touchante et sans concession.
Astrakan de David Depesseville, en salles le 8 février 2023. Ci-dessus la bande-annonce. Découvrez ici toutes nos bandes-annonces.