CRITIQUE / AVIS FILM – Pour son troisième essai, "Bacurau", Kleber Mendonça Filho franchit une étape supplémentaire et sort les armes pour sauver son pays. Entre le geste politique, le western de science-fiction et l'action brutale, le film frappe là où ça fait mal.
En l'espace de deux films, le brésilien Kleber Mendonça Filho est déjà un auteur passionnant qui prend le pouls de son pays et le fait, surtout, au travers de vraies propositions cinématographiques. Dans Les Bruits de Recife, il racontait la perturbation d'un quartier par l'arrivée d'une agence de sécurité qui ne rassurait pas les habitants. Puis, dans Aquarius, il suivait la majestueuse Sonia Braga en femme rescapée d'un cancer du sein qui luttait contre un promoteur désireux de la virer de chez elle. Ces deux films ont suffi pour qu'on cerne le style Kleber Mendonça Filho, ancré dans le cinéma social pour mieux nous percuter lorsqu'il s'en extrait - par des figures de style brillantes ou l'irruption d'un autre genre.
Son cinéma est politique. Très attentif aux problèmes de son pays, le metteur en scène fait un pas supplémentaire dans cette direction avec Bacurau. Le film débute, on nous le dit, dans un "futur proche". Une jeune femme rentre chez elle, au village de Bacurau, pour assister aux funérailles de sa grand-mère, récemment décédée à 94 ans. On pénètre alors dans une petite communauté soudée, isolée. Un problème, cependant, interpelle plusieurs membres : Bacurau n’apparaît plus sur les cartes et le réseau téléphonique n'est soudainement plus en service. Pendant une bonne heure, le film avance sans trop que l'on sache réellement vers quoi on se dirige. L'étude ethnographique ne donne que de maigres indices pour révéler où elle fait s'acheminer la narration.
Bacurau met un certain temps à dévoiler son second visage, qui en fait le film politique le plus engagé et violent de la filmographie de Kleber Mendonça Filho (ici co-réalisateur avec Juliano Dornelles). Lorsqu'un groupe d'Américains, lourdement armé et mené par Udo Kier, entreprend de faire la peau aux habitants du village. Ces derniers ne comptent pas se laisser faire. Un peu trop loin, à la jonction entre la première et la seconde partie, Bacurau décuple sa puissance narrative, thématique et formelle, quand le film de genre devient un moyen pour parler d'un futur plus que proche pour le Brésil. Avec Jair Bolsonaro au pouvoir, une partie encore "sauvage" du pays est menacé. C'est de ça qu'il est question ici. La troupe de tueurs, on le découvrira plus tard, n'est pas là que pour le plaisir de dézinguer.
Film surprenant, Bacurau est ultra-politique mais également dévoué à une imagerie propre au cinéma de série B. Les touches de fantastique, d'actionner, de western et de SF se croisent, pour appuyer la charge des deux réalisateurs. On ressent toute l'influence de John Carpenter, dans cette façon de camoufler le geste politique sous le prétexte du genre. Il y a du Assaut, du Invasion Los Angeles et du New-York 1997 dans ce Bacurau. Dans l'esprit, du moins - faire uniquement un western de SF n'était pas un aboutissement.
C'est la première fois que Kleber Mendonça Filho fait preuve d'une telle rage dans son cinéma. Sans doute car la situation de son Brésil le force à se montrer plus véhément qu'à l'accoutumée. Acte de résistance autant que d'humanité, Bacurau est un geste de cinéma fulgurant, parfois désarçonnant et à la lisière d'un mauvais goût étrange (le drone en forme de soucoupe, les Américains caricaturaux), dont la portée militante est hautement importante. Bolsonaro est prévenu.
Bacurau de Kleber Mendonça Filho, présenté au Festival de Cannes, en salle le 25 septembre 2019. Ci-dessus un extrait. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.