CRITIQUE FILM - Ce mercredi, ne manquez pas le retour de "Bad Lieutenant" au cinéma, plongée infernale, portée par l’immense Harvey Keitel, dans le quotidien d’un flic ripou qui ne cesse de s’enfoncer et pour qui la rédemption semble impossible.
Bad Lieutenant a droit ce mercredi 15 août à une superbe ressortie en salle dans une somptueuse copie restaurée. Tourné en seulement 18 jours dans les rues de New York, le chef d’œuvre d’Abel Ferrara s’avère, 25 ans après sa sortie en France, toujours aussi dérangeant et bouleversant.
Dans le film, le spectateur suit le quotidien d’un flic corrompu, toxicomane et complètement endetté à cause de paris. Lorsqu’une église place une récompense pour la personne qui retrouvera les deux violeurs d’une nonne, le policier y voit la possibilité de s’acquitter des milliers de dollars qu’il doit à un bookmaker. Pourtant, à mesure que son enquête avance, il perd pied et s’enfonce dans une spirale infernale dénuée de tout espoir.
Le petit frère malade de Mean Streets
Dans sa manière de présenter New York avec un réalisme brut, Bad Lieutenant comporte de nombreux points communs avec Mean Streets. A l’instar du long-métrage de Martin Scorsese, le film de Ferrara se déroule principalement dans trois lieux charnières pour le héros : son domicile, l’église et surtout la rue.
Poisseuse, cette dernière est le lieu de perdition du flic, qui y multiplie les abus de pouvoir. Constamment défoncé, le personnage donne au film son rythme lancinant. Alternant entre alcool, héroïne et crack, le lieutenant qui n’est jamais nommé tient debout grâce aux substances qu’il ingère et cette impression s’accentue à mesure que le récit progresse. Alors que sa vie de famille ouvrait le long-métrage, elle est peu à peu délaissée par Ferrara et son personnage, qui lui préfèrent les squats et l’église vandalisée par les deux hommes au moment du viol.
Le flic semble vagabonder d’un endroit à un autre à la manière de Johnny Boy, la petite frappe incarnée par Robert De Niro dans Mean Streets. Comme lui, il est endetté et à la recherche d’une échappatoire qu’il ne trouvera jamais. Le ripou semble en effet condamné à errer dans les rues de New York, prisonnier d’une ville qu’il n’a cessé de souiller. En cela, l’éclairage rougeâtre de certaines séquences et les gros plans sur le visage empli de détresse d’Harvey Keitel amplifient la sensation d’enfermement dans la Grosse Pomme. Comme Johnny Boy, le lieutenant provoquera par ailleurs lui-même sa perte en insultant ouvertement son créancier dans un bar, seule opportunité de pouvoir enfin sortir d'une manière ou d'une autre de son quotidien misérable.
20 ans après Mean Streets, Abel Ferrara nous offre donc une vision similaire de sa ville natale, cette fois-ci gangrenée en partie par la toxicomanie. En se plaçant du côté des forces de l'ordre, il confère également tous les pouvoirs à un héros qui ne se privera pas pour en jouir, avant de tenter d'obtenir le pardon dans un dernier acte poignant.
La rédemption avant l'oubli
Bad Lieutenant ne cesse de provoquer la question suivante chez le spectateur : jusqu’où faut-il puiser pour espérer trouver le salut ? Le long-métrage est d’ailleurs l’un de ceux qui a le mieux évoqué cette interrogation universelle.
La dimension religieuse occupe une place capitale dans le film. Elle offre notamment une scène bouleversante dans laquelle le flic rampe littéralement vers le Christ. Avant cela, l'unique échange entre le pourri et la nonne, qui a décidé de pardonner ses violeurs, résume parfaitement la perte de repères totale du personnage principal.
Le long-métrage se conclut ensuite sur deux plans fixes profondément évocateurs. Dans le premier, les hurlements de Keitel témoignent de sa douleur avant qu’il ne retombe dans l’oubli dans le second, alors que le spectateur semblait ne voir que lui dans New York depuis le début du film.
Bad Lieutenant doit d’ailleurs énormément à l’interprétation exceptionnelle et plus vraie que nature d’Harvey Keitel. La souffrance du comédien, sous l’emprise de substances lors du tournage et quasiment de tous les plans, est viscérale et ne cesse de s’accentuer. Le visage extrêmement fermé au début du film, Keitel passe ensuite dans le désespoir le plus total, épuisé par ses actes et rongé par tout ce à quoi il est confronté, à l’instar du Travis Bickle de Taxi Driver et de l’ambulancier d’À tombeau ouvert.
Si la filiation avec Scorsese est évidente, jamais le film d’Abel Ferrara ne s’apparente à une pâle copie des œuvres de son prédécesseur. Encore plus noir et tourmenté, le long-métrage explore les tréfonds du mal et de la culpabilité avec une crudité qui provoque le malaise, en particulier lors du partage d’une seringue qui s’apparenterait presque à une scène romantique. Ce paradoxe illustre d’ailleurs à merveille l’envie du spectateur de voir le flic émerger alors qu’il est profondément détestable. C’est sans doute parce qu’il sait que pour lui, la situation est irrattrapable et que sa chute est imminente, ce qui rend ses derniers actes encore plus puissants.
Bad Lieutenant est à (re)découvrir au cinéma à partir du mercredi 15 août 2018. Ci-dessus la bande-annonce.