CRITIQUE / AVIS FILM - Margot Robbie incarne une poupée stéréotypée qui découvre le monde réel et ses désillusions dans "Barbie". Si le film très attendu de Greta Gerwig démarre sur les chapeaux de roues, son univers s'effondre peu à peu et laisse un goût d'inachevé, malgré ses nombreuses qualités.
Barbie : tant de promesses...
L'ouverture de Barbie multiplie les promesses au spectateur. Des promesses de mise en scène, puisque le long-métrage reprend l'introduction de 2001, l'Odyssée de l'espace. Alors que les premières minutes préhistoriques du chef-d'oeuvre de Stanley Kubrick dévoilaient la découverte de l'outil, celles du film de Greta Gerwig dévoilent la découverte révolutionnaire faite par des petites filles d'une poupée indépendante, capable de tout, qui leur permet enfin de jouer à autre chose qu'à la maman. Une parodie qui fait donc également des promesses d'humour ainsi que d'un ton ironique et irrévérencieux que la réalisatrice et scénariste maîtrisait brillamment dans Lady Bird.
Ces promesses semblent se concrétiser lorsqu'une fois passée cette première séquence, Barbie présente le monde merveilleux de Barbieland. Un univers enchanté où les Barbie sont au pouvoir et revivent la même journée, la même douche sans eau, le même petit déjeuner en plastique, la même réunion de sourires et la même fête ponctuée par la même chorégraphie. L'univers se réduit à quelques cadres répétitifs, plongeant ainsi merveilleusement dans l'imaginaire d'un ou d'une enfant capable de créer tout un monde dans sa chambre avec ses jouets.
Les numéros musicaux sont entraînants, les Ken sont délicieusement débiles et Margot Robbie confirme qu'elle est à la fois l'incarnation parfaite d'une poupée en pleine crise existentielle et l'une des plus grandes actrices de sa génération, même s'il n'y avait absolument aucun doute là-dessus. Lorsqu'elle se met à penser à la mort et que ses talons commencent à toucher le sol, Barbie fait une nouvelle promesse : celle de la découverte d'un monde réel empli de désillusions, où le fantasme d'émancipation des femmes voulu par la poupée créée par Ruth Handler n'est qu'un triste mirage, où le patriarcat s'exerce dans la discrétion et où l'embarras, le manque de confiance en soi et la pression sociale règnent.
... pour si peu de résultats
Hélas, mille fois hélas, les choses se gâtent dès que l'héroïne et son acolyte improvisé Ken (Ryan Gosling) débarquent à Venice Beach, "dans le pays de Californie". Le rythme s'accélère, comme si Greta Gerwig était pressée de boucler cette partie pourtant prometteuse. Les passages au commissariat sont extrêmement rapides et utilisés pour de courts moments comiques, au même titre que la bêtise sans limite de Ken, qui découvre avec joie la toute-puissance des hommes et des chevaux.
Dommage que cette vitesse vienne ruiner les règles établies par la mise en scène à Barbieland. Si tout est possible dans cet univers merveilleux, tout semble également possible dans ce réel où Ken passe des couloirs d'un hôpital au siège d'une grande entreprise en un temps record, tandis que Barbie poursuit sa quête dans un rythme beaucoup plus posé. Ces ellipses sont certes drôles, mais elles viennent gâcher tout le concept et combler la fissure pourtant immense entre les deux mondes. La cinéaste n'exploite pas non plus pleinement l'immense potentiel de Will Ferrell, l'un des acteurs les plus drôles au monde qui, dans la peau du PDG de Mattel, n'offre qu'un ou deux gestes enfantins dans la lignée de ceux de Frangins malgré eux, qui collent néanmoins à son rôle de mâle constamment materné et accompagné de son armée de cadres en costard.
Si ce deuxième acte est expédié, quelques moments fabuleux parviennent à alléger le sentiment de déception. Voir Barbie découvrir les fluctuations de l'existence, qu'elles soient émotionnelles ou concrètes, est l'un des éléments les plus touchants du film, magnifié par les nuances de jeu de Margot Robbie, notamment lorsqu'elle se retrouve face à une vieille dame et qu'elle la complimente, prenant conscience de la beauté du temps qui passe après avoir évolué toute sa vie dans un environnement figé.
Un film paradoxal
La désillusion - celle du spectateur, pas de l'héroïne - s'accentue dans une ultime partie où les insupportables Ken incarnés par Ryan Gosling, Simu Liu ou encore Kingsley Ben-Adir prennent nettement plus de place que l'héroïne et ses partenaires, interprétés notamment par Issa Rae, Emma Mackey et la géniale Kate McKinnon. Une conclusion verbeuse où la réalisation s'assagit, où l'énergie retombe et où Greta Gerwig oublie de traiter plusieurs personnages, et pas seulement les Barbie. Margot Robbie en vient même à manquer au spectateur, éclipsée par un Ryan Gosling en boucle, qui finit par devenir agaçant.
Mais là encore, de superbes lignes de dialogues rappellent le talent de Greta Gerwig et de son compère Noah Baumbach, à commencer par les coups de gueule de Gloria (America Ferrera), qui tente d'éradiquer le patriarcat qui empoisonne Barbieland avec des arguments imparables. Le long-métrage propose aussi une rencontre réussie entre Barbie et son architecte, finissant de s'imposer comme un croisement entre La Grande aventure Lego, The Truman Show et Matrix Reloaded, qui ne sait malheureusement pas choisir ce qu'il a le plus envie d'être, ce qui crée à l'arrivée un cruel manque d'équilibre.
Là où le film termine de se saboter, c'est dans sa manière de taper sur le capitalisme consumériste tout en profitant d'une campagne marketing qui en est pourtant l'exercice parfait mis en place par Warner et Mattel, contentes de pouvoir se gaver grâce aux nombreux produits dérivés. Barbie est donc coincé dans ce paradoxe hollywoodien, voulant dénoncer les dérives d'un système dont il est pourtant forcé de faire la promotion, devenant donc à la fois produit et objet artistique ayant le cul coincé entre de nombreuses chaises.
Barbie de Greta Gerwig, en salles le 19 juillet 2023. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.