CRITIQUE / AVIS FILM - Joaquin Phoenix cherche à retrouver sa mère dans "Beau is Afraid". Moins abouti que "Hérédité" et "Midsommar", le nouveau film d'Ari Aster n'en demeure pas moins fascinant.
Le formidable cauchemar urbain de Beau is Afraid
Après un premier film étouffant sur une famille dysfonctionnelle et un trip halluciné façon The Wicker Man rempli de visions d'horreur dans des champs ensoleillés, Ari Aster est enfin de retour. Et le réalisateur d'Hérédité et de Midsommar est en pleine possession de ses moyens avec Beau is Afraid. La première heure de ce nouveau cauchemar s'inscrit immédiatement dans ce que le cinéaste a fait de mieux.
Inconfortablement installé dans le bureau de son psy, Beau lui annonce qu'il est sur le point de rendre visite à sa mère. Une mère étouffante, invasive et qui nourrit continuellement le sentiment de culpabilité de son fils, s'imposant d'emblée comme la version téléphonique de Toni Collette dans Hérédité. Malgré les reproches qu'il subit, Beau ne veut pas la décevoir et compte bien prendre son avion. Mais à la suite d'une nuit étrangement agitée, durant laquelle un voisin lui demande de baisser le volume alors que le calme règne dans son appartement, le personnage rate son vol. Débute alors une odyssée oedipienne drôle, dérangée et bordélique, à l'image de celui qui l'entreprend.
Pour plonger le spectateur dans la psyché de Beau, Ari Aster dévoile une vision chaotique de New York, presque post-apocalyptique. Une ville où les armes se vendent sur les étals d'un marché, où un meurtrier se balade entièrement nu pour trouver des victimes à assaillir de coups de couteau, où des hommes mystérieusement suspendus à votre plafond vous tombent dessus pendant que vous prenez tranquillement votre bain, où une simple sortie pour acheter une bouteille d'eau prend des allures de guérilla urbaine. Un monde en feu qui ne brûle pas, comme l'esprit torturé et paranoïaque du héros, qui hurle constamment sans parvenir à émettre le moindre cri.
Joaquin Phoenix, l'enfant maudit
Beau is Afraid est un voyage, mais Ari Aster semble étrangement plus à l'aise avec l'immobilité, comme il l'a déjà prouvé sur ses deux précédents projets. Après cette longue, fabuleuse et hilarante introduction, le périple débute. Et c'est paradoxalement lorsque Beau essaie de se mettre en mouvement que le long-métrage perd de sa superbe. Le réalisateur enclenche un deuxième acte qui prend la forme d'une séquestration déguisée, où l'humour grinçant ne fonctionne plus autant qu'avant.
Un chapitre qui offre néanmoins des éléments mémorables, à commencer par les décors roses, scintillants et faussement bienveillants d'une maison qui devient la nouvelle prison du protagoniste, libéré pendant un temps de ses tourments grâce à l'efficacité des sacro-saints médicaments. Amy Ryan, Nathan Lane et surtout Denis Ménochet livrent par ailleurs des performances délirantes, en particulier ce dernier, qui réussit à être tétanisant dans la peau d'un vétéran resté sur le champ de bataille qui ne prononce aucun mot et se contente de grogner.
Et il y a enfin l'interprétation phénoménale de Joaquin Phoenix, ses regards hallucinés, sa gentillesse méprisée et son incompréhension totale de tout ce qui l'entoure. Dans ce paradis des suicidaires, le comédien transpire à merveille le mal-être d'Ari Aster, son besoin viscéral de ne plus exister freiné par son incapacité à se foutre en l'air. Une incapacité due à la pression mise par une mère qui revient dans des visions toujours plus gênantes mais aussi à sa lâcheté. Par manque de courage, Joaquin Phoenix rejoue la fuite après le magnifique Two Lovers, dans lequel il trouve un autre de ses grands rôles.
De la répétition jusqu'à l'indigestion
C'est avec cette fuite, aller direct vers la mort et l'anéantissement, qu'Ari Aster perd son spectateur. Une séquence en forêt et un passage animé symbolisant l'impossible apaisement suscitent l'ennui après la folie de tout ce à quoi le public vient d'assister. Le cinéaste assène ensuite le même message à travers différentes scènes. Un parti pris qui colle à merveille au propos et au récit de cet homme qui ne cesse de sombrer à force d'entendre qu'il n'est capable de rien et qu'il n'est qu'un fils.
Les ambitions du réalisateur sont claires mais son procédé provoque l'indigestion. Certains dialogues sont beaucoup trop étirés et il est difficile de ne pas décrocher durant l'interminable logorrhée finale d'une noirceur et d'un pessimisme absolus, où Beau n'est plus que le témoin d'une existence sur laquelle il n'a jamais eu le contrôle. Cependant, là encore, Ari Aster offre des visions inoubliables, tels qu'un monstrueux pénis, que Parker Posey figée par un orgasme ou que la terrifiante et acariâtre Patti LuPone, parfaite en matriarche richissime et ayant un penchant prononcé pour la torture.
Des visions qui finissent malheureusement par prendre le pas sur un discours répété inlassablement par un réalisateur qui fait ce qu'il veut, ne s'embarrassant apparemment pas de perdre son auditoire. Son geste est radical, parfois brillant, parfois prétentieux, souvent boursouflé mais laisse quoi qu'il en soit le sentiment d'avoir assister à quelque chose d'inédit au cinéma.
Beau is Afraid d'Ari Aster, en salles le 26 avril 2023. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.