AVIS / CRITIQUE FILM - Après "Elle", Virginie Efira retrouve Paul Verhoeven pour "Benedetta", où elle incarne une nonne convaincue d’être en contact avec la Vierge et le Christ. Une œuvre digne des meilleurs longs-métrages du Hollandais Violent ?
Benedetta : miracle ou imposture ?
Dans Elle, Virginie Efira interprétait la voisine bigote d’Isabelle Huppert, inconsciente du jeu de massacre en train de se jouer au sein de son entourage. Avec Benedetta, la comédienne retrouve Paul Verhoeven, qui s’amuse plus que jamais avec cette notion de bigoterie, et hérite d’un rôle principal. Celui de Benedetta Carlini, une nonne d’un couvent de Pescia dans l’Italie du XVIIe siècle.
Depuis son enfance, la religieuse est en proie à des visions auditives et visuelles, persuadée d’entrer en contact avec la Vierge et Jésus. Ces dernières se renforcent lors de l’arrivée au couvent de Bartolomea (Daphne Patakia), pour laquelle son attirance ne cesse de grandir. Confrontée à des apparitions de plus en plus tourmentées, Benedetta divise ses sœurs.
Si certaines sont convaincues d’un miracle à la vue des stigmates du Christ sur son corps, d’autres la voient comme une manipulatrice, à commencer par la révérende mère Felicita (Charlotte Rampling), qui se met à espionner Benedetta et découvre son amour pour Bartolomea…
Une œuvre malpolie et réjouissante
Tout au long de sa carrière, Paul Verhoeven n’a jamais fait le jeu d’une quelconque morale, bien au contraire, et a toujours créé des œuvres profondément ambiguës. Cela passe notamment par l’identité de la tueuse de Basic Instinct, qui continue de faire débat près de trente ans après la découverte des meurtres au pic à glace. L’incompréhension de la satire Starship Troopers, fustigée pour son supposé caractère fasciste par certains critiques à sa sortie, en est une autre preuve. Fidèle à lui-même, le Hollandais Violent divise à nouveau avec Benedetta, et il aurait été inquiétant de voir son film accueilli avec unanimité, qu’elle soit positive ou négative.
Dès la scène d’ouverture du long-métrage, le cinéaste donne le ton. Alors que des brigands tentent de dérober les biens des parents de la future nonne, celle-ci assure qu’ils seront punis par Marie s’ils vont au bout de leur acte. L’un des voleurs, borgne, remet en cause la parole de l’enfant, avant qu’une fiente ne vienne s’abattre sur son œil encore voyant. Le premier "signe divin" de Benedetta résume à merveille la férocité et l’humour avec laquelle le réalisateur s’apprête à traiter son sujet.
Par la suite, Paul Verhoeven désacralise la vie au couvent avec une scène de latrines particulièrement bruyante. Obscénité gratuite ? Difficile de le croire. Car s’il s’évertue à détruire la pureté hypocrite avec laquelle l’Eglise est parfois représentée, il s’attarde également sur la vie en communauté, sur les activités des sœurs, à travers des plans superbement composés, jouant sur la profondeur de champ. La vulgarité est par ailleurs souvent justifiée par les réactions sincères de Bartolomea, paysanne ayant subi les abus de son père et de ses frères, à mille lieues de la vie propre, aisée et pieuse de Benedetta.
Magistrale Virginie Efira
Pour autant, malgré cet humour réjouissant, Benedetta ne tourne pas en ridicule la ferveur et la foi inaltérable de son personnage principal. Le long-métrage parvient à s’imposer comme un pamphlet iconoclaste tout en questionnant le spectateur sur ses propres croyances, et ce peu importe leur nature. Les scènes où un châtiment semble s’abattre sur Pescia sont glaçantes, au même titre que les moments où la nonne incarnée par Virginie Efira se révèle possédée. Ces passages confirment l’immense talent de l'actrice, habitée, qui trouve sans doute ici son rôle le plus complexe.
La douleur des visions et des stigmates devient progressivement viscérale - au même titre que les désirs de Benedetta - en partie grâce à son jeu, mais aussi parce que Paul Verhoeven est un véritable maître dans l’art du chaos. Martyre ou folle à lier ? La réponse est finalement secondaire, le réalisateur préférant se focaliser sur les réactions hystériques que son comportement et sa sexualité suscitent.
Un personnage fascinant
Certains font de Benedetta une sainte, d’autres veulent l’envoyer au bûcher, à l’image du nonce détestable interprété par Lambert Wilson. La religieuse est soit une miraculée reprenant la parole de Dieu, soit une coupable des pires abjections. Une facilité à aller vers les extrêmes qui n’est pas sans rappeler la polarisation des débats de l’époque actuelle.
À mesure que le film avance, les nuances disparaissent et la mort s’installe. Benedetta elle, n’est plus une femme mais un symbole. Qui ne peut que s’éteindre une fois qu’il n’a plus d’utilité, comme le rappelle le carton amer qui précède le générique et évoque la véritable fin de vie de la nonne. Paul Verhoeven fait d'elle un personnage fascinant et déconcertant, dans la lignée de ceux de Black Book et Elle.
Benedetta de Paul Verhoeven, en salle le 9 juillet 2021. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.