CRITIQUE /AVIS FILM - Neuf ans après "L'Extravagant Voyage du jeune et prodigieux T. S. Spivet", Jean-Pierre jeunet présente sur Netflix son nouveau long-métrage, "Bigbug". Un huis clos avec des humains et des robots dans un futur coloré et aseptisé, dont on aime le soigneux mélange des genres, mais dont on peut aussi regretter le manque de sensibilité et le scénario inoffensif.
Le retour de Jean-Pierre Jeunet aux affaires
Un bon cinéaste est-il de son temps ? Ou au contraire est-il celui qui traverse les périodes avec la même constance de performances ? C'est la question qui se pose devant le nouveau film de Jean-Pierre Jeunet, la fable comique futuriste Bigbug, disponible à partir du 11 février sur Netflix.
Dans le cinéma français, très peu de ses confrères et consoeurs peuvent afficher un CV aussi brillant. Après les très remarqués Delicatessen et La Cité des enfants perdus, co-réalisés avec Marc Caro, Jean-Pierre Jeunet prend son envol solitaire en 1997 avec Alien, la résurrection, enchaîne avec son grand succès Le Fabuleux Destin d'Amélie Poulain puis Un long dimanche de fiançailles. Suivent Micmacs à tire-larigot et malgré ses qualités un échec en 2013 avec L'Extravagant Voyage du jeune et prodigieux T. S. Spivet.
Un sixième film réalisé seul donc avec Bigbug, qui signe le retour de Jean-Pierre Jeunet au long-métrage. Toujours photographié et décoré avec passion, toujours interprété avec conviction et toujours avec des innovations surprenantes. De la comédie, quelques manières d'horreur et beaucoup de joie enfantine, les ingrédients traditionnels de son cinéma sont là. Malheureusement, cette fois-ci, ça ne prend qu'à moitié.
Une comédie dans le pur style Jeunet
L'idée principale, sans être neuve, reste amusante. Quelque part au milieu du XXIe siècle, les humains vivent dans un monde robotisé où une race militaire de robots à l'intelligence artificielle très développée, les Yonyx, essaye de prendre le pouvoir. Enfermés dans leurs habitations, les humains vont se trouver des alliés inattendus : leurs robots de maison, qui ne veulent pas que l'ordre du monde soit changé. On retrouve tout le génie de Jean-Pierre Jeunet à créer des êtres étonnants, ici surtout les robots.
Qu'ils soient de simples robots ménagers ou des androïdes très développés, c'est eux qui captent l'attention du spectateur, et eux aussi qui semblent avoir reçu la meilleure considération du réalisateur. Il y a ainsi les Yonyx, tous pourvus des traits de François Levantal, à la fois effrayants et drôles. Il y a Greg, robot amant captivant joué par Alban Lenoir, et la toujours parfaite Claude Perron dans le rôle de Monique, gouvernante androïde qui cherche à comprendre ce qui fait une "humanité". Le fidèle André Dussolier, voix-off dans Le Fabuleux Destin d'Amélie Poulain, prête ici sa voix à Einstein, robot fait maison.
Face à eux, les humains de Bigbug semblent presque fades, malgré un effort d'écriture pour les mettre en bonne prise avec le futur et des interprétations convaincues. Il y a la jolie et gentiment cruche Jennifer (Claire Chust), un vague séducteur libidineux (Stéphane De Groodt), la voisine franche et dynamique Françoise (Isabelle Nanty), la maîtresse de maison à la fois enthousiaste et au bord de la dépression Alice (Elsa Zylberstein), le compagnon de Jennifer et ex-mari d'Alice, l'invariablement drôle Youssef Hajdi. Des comédiens talentueux, mais une caractérisation très simpliste et dommageable de leurs personnages.
Tout Bigbug se déroule dans la maison d'Alice, admirablement décorée, véritable maison-gadget dont on apprécie découvrir les recoins. On reconnaît dans la direction artistique le génie de Jeunet, qui sert une histoire à l'enthousiasme et au plaisir enfantin. C'est ce qui fonctionne naturellement dans Bigbug, alors que malheureusement l'aspect presque théâtral de la comédie humaine qui se joue crée une forme d'inégalité dommageable à l'ensemble. Allégorie trop réelle des confinements récents de nos sociétés, où l'excitation d'une urgence inédite a vite cédé à un ennui angoissé ?
Un bac à sables en manque d'idées
Rire, s'émerveiller, s'effrayer et émettre une critique de notre rapport à l'époque, où l'humanisme s'opposerait au "technologisme" ? Bigbug ne fait pas de choix, voudrait répondre à toutes ces ambitions, mais n'y parvient pas. À l'arrivée, Bigbug est paradoxal. Le rythme est rapide et les péripéties s'enchaînent, mais le film souffre d'une longueur excessive.
Avec un casting "humain" qui prend pourtant ses tâches très au sérieux, tout en s'amusant avec des clins d'oeil au monde déjà présent (hantise des germes, salutations par le coude, fascination pour la télé-réalité, marketing agressif), personne ne se distingue réellement, n'arrive à éblouir avec son trait principal de caractère.
Qui mène quelle histoire ? Inlassablement, l'intérêt du spectateur revient donc toujours aux robots, qui eux restent logiquement simples dans l'appréciation de ce qui se déroule dans Bigbug. Il y a des belles idées dans ce monde inventé par Jeunet, mais son histoire en a finalement peu.
Bigbug commence en comédie de moeurs futuriste pour se jeter ensuite dans le genre survival et home invasion, avec de jolis traits horrifiques de mise en scène, musique au diapason et comédiens ravis de s'y amuser. Effets pratiques comme effets spéciaux sont d'excellente facture - hormis les rares paysages extérieurs. Tout ceci concourt à montrer que Jean-Pierre Jeunet reste un cinéaste unique, à l'univers singulier, et qu'il sait toujours en faire du cinéma.
Mais comme coincé lui aussi dans la maison d'Alice, Jean-Pierre Jeunet fait ainsi durer bien trop longtemps un après-midi de jeux, jusqu'à l'heure où ces jeux n'ont plus de sens, de but, ni même de goût. Bigbug est globalement une réussite, mais on en attendait légitimement beaucoup plus.
Bigbug de Jean-Pierre Jeunet, le 11 février sur Netflix. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.