CRITIQUE / AVIS FILM - "Billie Holiday, une affaire d'État" propose un portrait émouvant et dur de l'immense chanteuse de jazz Billie Holiday. Une interprétation magistrale d'Andra Day, chanteuse et actrice de très grand talent, qui ne cache qu'à moitié la difficulté de la narration à honorer tous ses enjeux.
Billie Holiday, une affaire d'État est un biopic, mais pas une simple biographie. Au moment de tirer le portrait d'une grande personnalité se pose cette question : combien ce portrait peut-il dire quelque chose de la société ? Le film sur la chanteuse Billie Holiday, réalisé par Lee Daniels, veut assumer cette tâcher à la fois unique et double : réaliser le portrait de la grande chanteuse de jazz et celui des États-Unis d'alors. Y parvient-il ?
Récit politique d'une femme d'exception
Billie Holiday, née Eleanora Fagan à Philadelphie le 7 avril 1915 et morte à New York le 17 juillet 1959, est une des plus grandes voix de l'histoire du jazz et du blues. Superstar avant l'heure, on lui doit des titres inoubliables comme All of me, Solitude, l'interprétation du terrible et grandiose Strange Fruit, et plus globalement une interprétation exceptionnelle de centaines de titres du répertoire du jazz. Rock star avant l'heure, elle est aussi accro aux drogues et particulièrement l'héroïne, traumatisée par une enfance très difficile, et prise dans des relations amoureuses aussi passionnées que hautement toxiques. Elle est, enfin, une des plus grandes artistes de la communauté afro-américaine et de son histoire, pour laquelle le poème et la chanson Strange Fruit sont un témoignage de l'horreur raciste et ségrégationniste, un chef-d'oeuvre accusateur, une supplique d'une humanité infinie.
Très justement, Lee Daniels raconte ainsi l'histoire de l'interprète de Strange Fruit, qui dérangeait au plus haut point le gouvernement fédéral de ces années, lui qui percevait son grand pouvoir d'émancipation et fermait les yeux sur les crimes des suprémacistes blancs. Jusqu'à la fin des années 1950, les lynchages d'Afro-américains sont en effet nombreux dans les États du Sud, jusqu'à la prohibition totale des lois ségrégatives avec le vote du Civil Rights Act de 1968. Billie Holiday, une affaire d'État raconte donc cette histoire, par le corps meurtri et la voix unique de Billie Holiday, interprétée intensément et souvent avec grand brio par la chanteuse et actrice Andra Day.
Un entre-deux habile mais fragile
On suit donc Billie Holiday et sa troupe, en même temps que l'action de l'autorité fédérale, qui cherche à tout prix à faire taire la chanteuse tant qu'elle voudrait chanter Strange Fruit. Une censure s'exerce et, pour parfaire celle-ci, l'agent Harry J. Anslinger (Garrett Hedlund), commissaire du bureau fédéral du département du trésor aux narcotiques (la future DEA), va poursuivre et faire emprisonner Billie Holiday pour sa consommation de drogues.
Guerre contre les narcotiques, mais aussi, surtout, guerre sociale et culturelle menée contre l'émancipation de la communauté afro-américaine. Pour mieux comprendre cette plongée dans une dimension biographique judiciaire, l'autre personnage principal du film est Trevante Rhodes dans le rôle de Jimmy Fletcher, un des premiers agents fédéraux noirs, chargé d'infiltrer l'entourage de Billie Holiday et d'en rapporter à ses supérieurs. Une infiltration qui est rapidement mise à jour, ce qui n'empêche pas la chanteuse et l'agent d'entamer une liaison.
Jimmy Fletcher est le point d'entrée pour le spectateur, mais il ne sert pas uniquement de vue à celui-ci, il propose aussi son histoire, celle d'un homme déchiré par sa trahison envers Billie Holiday et sa propre communauté, mais aussi fier pour cette même communauté d'accéder à des postes et des responsabilités auparavant exclusivement réservée aux blancs.
Le grand portrait reste à faire
Il y a donc la voix et les gestes d'Andra Day, sexy en diable et soumise quand elle chante All of me, rebelle et magnifique quand elle chante face caméra et a capella le terrible Strange Fruit. Il y a beaucoup d'émotion dans Billie Holiday, une affaire d'État, ainsi qu'une tendresse apportée dans la mise en scène du corps de Billie Holiday, présenté comme le martyr d'une cause qui appelle encore sa reconnaissance. Traversée par le génie musical, elle l'est aussi par les forces antagonistes qui font les États-Unis de la première moitié du vingtième siècle : l'accession à une gloire "soumise", l'identité afro-américaine, la violence, le racisme et le puritanisme hypocrite de la société blanche... Il y a son amour et son intimité, dévoilée par ses relations tumultueuses et par sa liaison avec Jimmy Fletcher, celle-ci fulgurante et bien plus heureuse, mais sans réel avenir possible...
Il y avait un choix à faire, ou au moins une harmonie à trouver entre le film musical, le biopic intime et la chronique judiciaire. Malheureusement, la narration de Lee Daniels n'ordonne pas ces trois dimensions, les laissant se développer avec une égalité qui déconcentre l'émotion réelle de nombreuses séquences très réussies. Tragique, admiratif, colérique, investigateur, le film fait comme paresser sur son identité, entraînant parfois son spectateur dans un léger ennui, quand la pure émotion lui tend pourtant les bras.
Billie Holiday, une affaire d'État de Lee Daniels, au cinéma le 2 juin 2021. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.