CRITIQUE / AVIS FILM - Dans "Black Phone", Ethan Hawke prête ses traits à un kidnappeur qui terrorise une petite ville du Colorado. Un film qui marque le grand retour de Scott Derrickson à l'horreur ?
Black Phone : le téléphone saigne
Six ans après une incursion dans le MCU avec Doctor Strange, Scott Derrickson revient à son genre de prédilection. Le réalisateur de L'Exorcisme d'Emily Rose et de Sinister fait son retour au cinéma d'horreur avec Black Phone. Adapté d'une nouvelle de Joe Hill, fils de Stephen King, le long-métrage débute à la fin des années 70, dans une petite ville du Colorado.
Alors que les disparitions d'adolescents s'enchaînent, le jeune Finney (Mason Thames) doit faire face au harcèlement et à la violence de plusieurs de ses camarades. Un jour, le collégien se fait à son tour kidnapper par un homme (Ethan Hawke) qui l'enferme dans sa camionnette en utilisant des ballons noirs.
Enfermé dans la cave de son ravisseur, le garçon découvre un téléphone accroché au mur, dont les fils ont été arrachés. N'étant pas censé fonctionner, l'objet se met malgré tout à sonner. En décrochant le combiné, Finney s'aperçoit qu'il peut parler à d'autres adolescents, dont certains ne se souviennent plus de leur identité, et qui sont les victimes de ce psychopathe terrifiant.
Un projet personnel pour Scott Derrickson
Pour construire le personnage du kidnappeur dans sa nouvelle, Joe Hill s'inspire de John Wayne Gacy, le "clown tueur" inculpé pour les meurtres de 33 jeunes hommes. Conquis par le travail de l'écrivain, Scott Derrickson décide de le transposer à l'écran. Le réalisateur apporte une dimension personnelle à Black Phone. Il était possible de craindre que le long-métrage soit un projet anecdotique et manquant d'originalité comme le décevant Délivre-nous du mal. Il n'en est rien, le film étant sans doute le meilleur du cinéaste.
Comme Finney, Scott Derrickson a grandi dans le Colorado dans les années 70. Durant sa jeunesse à Denver, il est témoin d'abus et est effrayé par le passage de Ted Bundy dans les environs. Un vécu qui se ressent à travers Black Phone, dont l'authenticité du cadre est l'un des premiers éléments surprenants. Sans tomber dans l'excès, le thriller montre la dureté et la violence de l'adolescence du protagoniste, sa structure familiale particulièrement fragile et son immense solitude. Un isolement duquel il parvient à s'échapper un tant soit peu grâce à sa soeur Gwen (Madeleine McGraw).
Dans cet environnement où la photographie sépia, les arbres dépouillés de leurs feuilles et l'ambiance automnale sinistre accentuent le désenchantement général, Finney et Gwen tiennent bon. Ils tiennent bon face au harcèlement et face à leur père alcoolique (Jeremy Davies). Leur relation est l'aspect le plus touchant du film et l'unique force positive capable de transcender toute la noirceur qu'ils doivent affronter.
La tristesse prend le pas sur l'horreur
Car s'il le met légèrement au second plan par rapport à ses deux jeunes héros, Scott Derrickson ne délaisse pas son boogeyman. Il ne cherche pas pour autant à l'expliquer et à dévoiler ses motivations, hormis dans la conclusion. Le monstre reste un monstre, qui n'est ni humanisé, ni excessivement développé, ce qui le rend encore plus effrayant, constamment dissimulé derrière son masque. Il se rapproche ainsi de Michael Myers dans Halloween, le chef-d'oeuvre de John Carpenter auquel on pense souvent devant Black Phone.
Néanmoins, outre son cadre et son tueur, le film s'écarte de son prédécesseur par de nombreux aspects, notamment parce qu'il assume totalement de basculer dans le surnaturel. Plutôt que de verser dans le gore, même s'il n'est pas exempt de scènes sanglantes, le long-métrage préfère dévoiler les horreurs commises par le kidnappeur à travers les appels des victimes. Des témoignages macabres où les âmes errantes ne se souviennent plus de ce qu'elles étaient autrefois, complètement englouties dans les ténèbres.
Leurs voix et le tombeau que représente la cave suffisent pour suggérer les actes d'un meurtrier que l'on voit finalement peu, mais qui a droit à plusieurs plans tétanisants, à commencer par ceux où il semble endormi mais prêt à s'élever à tout moment. Parfait dans son intonation et sa gestuelle, Ethan Hawke livre une performance impressionnante. Si la présence de l'acteur est l'une de ses nombreuses qualités et qu'il ne tourne jamais le dos à son atmosphère glauque, Black Phone marque avant tout le spectateur par sa tristesse et la combativité avec laquelle les deux jeunes héros font tout pour la repousser.
Black Phone de Scott Derrickson, en salles le 22 juin 2022. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.