CRITIQUE FILM - Spike Lee en compétition à Cannes : on aurait pas parié là dessus. Mais « Blackkklansman », comédie policière où un flic afro-américain participe, dans les années 70, à une opération d’infiltration au sein du Ku Klux Klan, a bien été présentée hier sur la croisette.
L’élection de Donald Trump à la tête de la maison blanche fin 2016 a, certes, provoqué une indignation générale et a alimenté quelques protestations cinématographiques notables (les oscarisés Get Out de Jordan Peele et I Am Not Your Negro de Raoul Peck en tête, mais dont les projets étaient déjà bien entamés avant les improbables résultats des élections présidentielles), mais cela passait toujours par des détours ou des allusions discrètes à la mentalité actuelle en vigueur aux États-Unis. On pensait aussi, à tort, que cette abracadabrantesque histoire d’infiltration au cœur du KKK dans les années 70, figurant le synopsis de ce Blackkklansman de Spike Lee, n'était qu'un détour contextuel et historique afin de tacler, en douce, l’ère Trump et ses hauts fonctionnaires suprémacistes qui tiennent les rênes du pays.
Blackkklansman prend donc place à la fin des années 1970, à Colorado Springs. Ron Stallworth (John David Washington), un jeune bleu, débarque au commissariat de la ville avec son afro et ses fringues orangées afin d’intégrer la police locale. Face aux doutes de ses supérieurs et aux railleries de ses collègues, tous blancs, Ron veut faire ses preuves. Après avoir fait la rencontre de Patrice (Laura Harrier), une activiste appelant à l’insurrection des opprimés, la situation s’envenime lorsque Ron parvient, sur un malentendu, à obtenir un rendez-vous avec le Ku Klux Klan. Ron étant noir et ne pouvant s’y rendre en personne afin de mener l’enquête, c’est Flip Zimmerman (Adam Driver), un juif (mais blanc), qui s’en chargera, en se faisant passer pour Ron.
Montage alterné et naissance d'une nation
La première partie de Blackkklansman, une comédie de quiproquo et de jeux de double, allait dans le sens d’une critique par la déviation contextuelle. Le sujet, engagé mais pas obligatoirement militant (là est la nuance), réside dans une volonté d’intégration et d’affirmation de soi en tant que minorité (noire) à l’intérieur même du système oppresseur (la police). Dans son cadre historique plaisant comme dans sa cocasserie comique, le film fonctionne d’ailleurs plutôt bien au début, lorsque, justement, le spectateur contemporain peut faire tout seul, comme un grand, le rapprochement entre les vannes racisées de la société américaine des 70s et notre monde contemporain, plus évolué technologiquement mais toujours aussi mentalement gangréné par la bêtise quotidienne. C’est par la suite que tout se gâte. Passé la comédie efficace, bien qu'exécutée sans le moindre éclat véritable, Blackkklansman dévie très vite vers le pensum militant dont les ambitions dépassent les inspirations.
Son analogie années 1970/2010, exorcisée par une séquence en montage alterné, switchant entre récits des violences policières et approbation béate des membres du KKK face au Naissance d’une nation de Griffith, enfonce les portes ouvertes à grand coups de béliers anti-Trump. Même si l'idée est d'ici de se réapproprier le montage alterné inventé par Griffith, en le plaçant dans un contexte différent tout en en confrontant les discours et les oppositions par le prisme du cinéma, le résultat est peut être un poil trop surligné par ses effets pour devenir probant. Car malgré sa fière offensivité (les dernières images ré-utilisent des vidéos issues des manifestations néo-fascites à Charlotesville l'été dernier), Spike Lee, en se concentrant sur l'édification d'un programme analogique entre comédie fictive et tragédie réelle, entre années 70 et monde d'aujourd'hui, livre un film beaucoup trop éparpillé et hésitant pour faire bouger les lignes.
Blackkklansman de Spike Lee, en compétition officielle à Cannes, en salle le 22 août 2018.