CRITIQUE / AVIS FILM - Pour son nouveau film "Bonne conduite", Jonathan Barré offre à Laure Calamy le rôle d'une veuve psychopathe qui se fait justice sur les routes de Bretagne. Une comédie noire d'excellente facture, avec le Palmashow dans des rôles sur-mesure et des références amoureuses au grand cinéma populaire.
Jonathan Barré, coureur en solitaire
On peut considérer que les deux premiers longs-métrages réalisés par Jonathan Barré ne lui appartiennent qu'en partie. En effet, s'ils sont techniquement l'oeuvre du réalisateur, ce ne sont pas entièrement des films du cinéaste. En effet, La Folle histoire de Max et Léon et Les Vedettes sont avant tout des films du Palmashow, desquels le duo formé par Grégoire Ludig et David Marsais est au scénario, à la production, et dans les rôles principaux. Jonathan Barré est le réalisateur historique de leurs émissions télévisées, et il est associé avec le duo au sein de la société de production Blagbuster, bannière sous laquelle ont été produits ses deux premiers longs-métrages.
Il faut donc saluer cette émancipation de l'association avec le fameux duo comique, puisque son nouveau film Bonne conduite est lui un "original Jonathan Barré", que le cinéaste a co-écrit et co-dialogué avec le scénariste et réalisateur Laurent Vayriot. On le découvre ainsi comme un premier film, avec tout l'univers de cinéma auquel il invite chaleureusement. Et cet univers est formidable.
Une film de vengeance haletant
Bonne conduite raconte avec un enthousiasme amoureux une femme, une petite ville de Bretagne, une histoire de vengeance et de folie. Quelque part autour de Plouhinec, petite commune côtière du Finistère, Pauline (Laure Calamy) est formatrice-psychologue dans un centre de récupération de points de permis. Ça, c'est le jour. La nuit, parée d'une cagoule blanche et d'un blouson noir, elle se met au volant de sa superbe Subaru Impreza noir mat et tue des chauffards en les envoyant dans le fossé.
Avec son héroïne antagoniste, Bonne conduite emprunte en effet beaucoup au slasher dans son intention, et on ressent dans le soin formel apporté à l'ambiance et à l'exposition du personnage une passion pour le cinéma de genre. Plutôt que de céder à la facilité de la nuit américaine, c'est dans la nuit noire que fonce Pauline, éclairée par les phares des voitures ou par des néons, entre Spring Breakers pour l'esthétique et Drive pour la musique composée par Charles Ludig.
Pauline veut venger la mort de son mari (exceptionnel Thomas Ngijol malgré son "absence" du film), tué par un chauffard, et elle ne s'arrêtera que lorsqu'elle aura tué le chauffard responsable, celui-ci devant bientôt sortir de prison. Y parviendra-t-elle ? Cette première intrigue, développée dans style proche du giallo, est déjà suffisante en elle-même, mais Jonathan Barré aime aussi la comédie et, à la manière de Fargo des frères Coen, il va mêler à ce portrait d'une psychopathe et revenge movie une autre intrigue policière, menée avec génie par David Marsais et Grégoire Ludig, à qui il confie deux rôles secondaires pour un duo de flic hilarants.
Une excellente comédie noire
Là où Jonathan Barré réussit de manière éclatante, c'est dans le fin dosage de ce qu'il veut montrer et raconter. Son équilibre est en effet presque parfait. On s'effraie autant qu'on rit de l'attitude de Pauline, et on rit encore avec ces flics très sympathiques mais très longs à la détente. L'humour que parvient à générer Jonathan Barré est multiple. Il y a en effet un comique de caractère, avec des personnages très premier degré dans leur bêtise et leurs obsessions. Il y a un formidable comique de répétition, avec un "rôle" formidable de Thomas Ngijol, il y a aussi du comique de situation et de mots, et même de gestes. L'ensemble est harmonieux, le rythme est bon, et quasiment toutes les tentatives font mouche.
En pure comédie noire, il y a du drame et des morts cruelles dans Bonne conduite. Ce qu'on voit assez rarement dans le cinéma français lorsqu'il s'incline dans ce genre. Et pour parvenir à faire rire tout en gardant la noirceur et la folie du personnage principal, il fallait une actrice capable de concilier le registre dramatique et comique dans un même geste.
Un casting brillant
Une actrice toute trouvée en la personne de Laure Calamy, qui trouve ici un de ses meilleurs rôles, venue salir avec délectation l'image de l'actrice "pétillante" qu'on lui colle depuis Dix pour cent. Elle s'éclate dans ce rôle de veuve vengeuse, à fond dans la psychopathologie, drôle, effrayante et surprenante jusqu'au bout. Grande comédienne, on a pu la voir récemment livrer des performances d'une qualité supérieure à celle des films dans lesquels elle sont produites. Des films comme Une femme du monde et L'Origine du mal sont ainsi des films très aboutis mais, à la différence par exemple d'À plein temps, n'étaient pas exactement au niveau de sa force de cinéma. Dans Bonne conduite, elle épouse avec naturel et pleinement l'intention et la réalisation de Jonathan Barré, pour livrer une performance totale et parfaitement réussie.
Autour d'elle, David Marsais et Grégoire Ludig sont en territoire connu et réussissent leur duo absurde avec brio. On leur doit d'ailleurs beaucoup des introductions aux références glorieuses et souvent explicites de Bonne conduite. Les Oiseaux, Usual Suspects, La Cité de la peur, Seven ne sont ainsi que quelques-uns des clins d'oeil que Bonne conduite fait au grand cinéma, des clins d'oeil qui sont tous idéalement amenés. Et c'est peut-être là la très belle réussite de Bonne conduite : tendre vers l'absurde en restant populaire.
Un amour de cinéma
Il y a dans le cinéma de Jonathan Barré quelque chose qu'on retrouve dans celui de Quentin Dupieux. Le goût pour le cinéma de genre, pour les situations absurdes, l'attrait pour des personnages émouvants dans leur premier degré. Mais à la différence de l'auteur de Steak et Le Daim, dont on peut parfois soupçonner une démarche élitiste, faite de private jokes et de références impénétrables, Jonathan Barré parvient en effet à rendre son absurde populaire. Ainsi, en assumant ouvertement ses références et sa passion pour le grand cinéma populaire - mention spéciale au chien nommé comme celui de Sylvester Stallone -, il offre au palais la même sensation qu'un plat de haute gastronomie qu'on dégusterait "venus comme on est". Ce qui est la seule façon d'être vraiment cool et Bonne conduite est définitivement, et profondément, et joyeusement, cool.
Bonne conduite de Jonathan Barré, en salles le 29 mars 2023. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.