CRITIQUE / AVIS FILM – "Borgo", de Stéphane Demoustier, offre une plongée haletante dans la vie et l’éthique d’une surveillante pénitentiaire mutée en Corse. Avec Hafsia Herzi, Michel Fau et Pablo Pauly.
« La Corse, il faut l’aimer »
Après La fille au bracelet, le réalisateur Stéphane Demoustier poursuit avec brio son exploration du monde judiciaire. Dans Borgo, il s’inspire d’un fait divers et met en scène Melissa (Hafsia Herzi), surveillante pénitentiaire expérimentée de Fleury-Mérogis. Profitant de la prime insulaire, elle débarque en Corse avec ses deux jeunes enfants et son mari Djibril (Moussa Mansaly), en attente de reconversion professionnelle.
Le réalisateur, rencontré au Festival du Film Francophone d’Angoulême, a fait appel à l’ancien avocat Pascal Garbarini, qui tenait un rôle dans son précédent film. Il a été sa « porte d’entrée naturelle pour les continentaux, permettant de décrypter avec justesse les codes des voyous, malfrats et autres détenus corses ». Car c’est bien de codes dont il s’agit dans Borgo et de la façon de les intégrer, voire de s’y plier.
Ainsi les codes de la vie en Corse et le racisme ambiant auxquels se retrouve confronté le jeune couple mixte. Sans compter les codes de la prison en régime ouvert, qui permet aux détenus de circuler librement la journée. Mais Melissa ne se laisse pas intimider et se tient droite dans la représentation de sa fonction. Tout en veillant au respect réciproque avec les détenus, elle garde une distance la plus juste possible.
Une spirale infernale
Mais c’est bien cette situation particulière et ses retrouvailles avec Saveriu (Louis Memmi), connu à Fleury, qui vont la faire basculer peu à peu hors du cadre. En peu de dialogues, l’intensité des situations et des émotions que traverse la jeune femme est partagée avec le spectateur empathique. Il ressent l’emprise sournoise dans laquelle elle va tomber, à son corps défendant. La confiance, les attentions, les petits services : tout se met en place dans l’implacable manipulation du don qui crée la dette.
Hafsia Herzi relève remarquablement le défi de cette femme tiraillée entre son devoir, son silence et son humanité. D’autant que le réalisateur propose dans Borgo une subtile inversion des codes du genre. Elle est en effet une jeune femme forte dans un monde de machos sûrs de leurs pouvoirs, comme Anto (Henri-Noël Tabary). Une matonne que les détenus, tels Joseph Marchetti (Cédric Appietto), appellent affectueusement Ibiza, la ramenant à une mission maternante.
Elle est cette collègue au sein d’une administration pénitentiaire dépersonnalisée, sous les ordres d’une directrice (Florence Loiret Caille) qui ne transige pas avec les procédures. Une femme qui se bat pour sa peau et sa famille, protégeant son mari meurtri dans sa dignité masculine. Le film relate sans jugement le pouvoir des clans, la violence, la temporalité de la détention, les règlements de comptes et la parole donnée qu’il est impossible de reprendre.
Borgo est aussi un film puissant sur le regard et le point de vue. Pas seulement ceux de Melissa, qui évolue sous le regard de Saveriu. Mais aussi ceux du commissaire (Michel Fau), aidé du brigadier (Pablo Pauly). Car le réalisateur a eu l’autre excellente idée de mener en parallèle deux dramaturgies.
« On n'oublie personne et personne ne nous oublie »
En effet, au point de vue subjectif de l’héroïne s’ajoute en miroir une passionnante enquête policière objective. « Multipliant les angles sans pour autant rendre les choses plus claires, mais de façon dynamique et plaisante pour le spectateur », la caméra alterne naturellement de l’une à l’autre. Les pièces du puzzle s’emboitent, jusqu’à faire se rejoindre habilement le récit.
Hafsia Herzi et Michel Fau sont remarquables de vérité. Et le réalisateur atteint ses objectifs de contre-emploi de leurs rôles habituels. L’actrice, « pleinement adulte », est à l'opposé des rôles de jeunes femmes fragiles. Et Stéphane Demoustier a demandé à Michel Fau « de rester loin de ses trucs loufoques, d’être le plus droit possible et de ne rien faire, tel Bourvil dans Le cercle rouge ». Grâce à une mise en scène originale et un récit en tension, Borgo se révèle donc un film fascinant sur la façon dont une jeune femme ose prendre sa place dans un monde d'hommes.
Borgo de Stéphane Demoustier, en salles le 17 avril 2024. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.