CRITIQUE / AVIS FILM - Après avoir été emprisonnée pendant plusieurs mois dans le Donbass, Lilia est libérée et rentre chez elle, à Kiev. Un retour difficile, marqué par les traumatismes et les drames, retranscrit avec pudeur, complexité et sans manichéisme dans ce premier film réussi.
Butterfly Vision : le difficile retour au pays
Premier long-métrage de Maksym Nakonechnyi, Butterfly Vision a été tourné avant l'invasion de l'Ukraine par la Russie en février 2022. Le film débute avec la libération de Lilia (Rita Burkovksa), qui rentre à Kiev après avoir été emprisonnée pendant plusieurs mois dans le Donbass. La mise en scène instaure dès les premières scènes un malaise et une incertitude que la joie des retrouvailles ne parvient pas à dissiper.
Traumatisée par la torture et les viols qu'elle a subies, Lilia apprend peu de temps après qu'elle est enceinte. Elle décide de garder le bébé et met tout en oeuvre pour reprendre un semblant de vie normale. Mais la violence des souvenirs est encore vive, tandis que la colère de son mari Tokha (Lyubomyr Valivots) ne cesse de grandir.
Thème fascinant qui permet de souligner le décalage des soldats face au reste de la population et leur isolement, le retour au pays a été traité dans de nombreux films, de Voyage au bout de l'enfer au récent Sentinelle sud, en passant par Taxi Driver et Birdy. Des longs-métrages où les personnages finissent éventuellement par s'enfermer et vriller, à l'image de Travis Bickle dans le drame de Martin Scorsese.
Les ravages de la guerre
Ce qui frappe le plus dans Butterfly Vision, c'est justement la façon dont Lilia s'accroche et tient bon, acceptant l'idée que l'enfer n'est pas derrière elle. Refusant la pitié et les contacts physiques de ses proches, elle finit par s'ouvrir progressivement, alors que son compagnon se ferme et sombre dans une spirale autodestructrice. Qu'il s'agisse des flash-backs de sa détention que Maksym Nakonechnyi retranscrit en brouillant l'image - distillant par petites touches des vidéos insoutenables sans jamais les montrer complètement - de ses cicatrices ou de son corps qui évolue, rien ne semble pouvoir briser Lilia.
Butterfly Vision ne tend pas à offrir un point de vue sur le conflit entamé en 2014, évite tout manichéisme. Pour montrer les horreurs de la guerre, le long-métrage alterne entre des vues de drone, Lilia étant spécialiste en reconnaissance aérienne, et les dégâts au sol. Le réalisateur ne filme pas la destruction immédiate provoquée par ces engins. Il dévoile les conséquences sur le long terme, et plus particulièrement la manière dont les affrontements rongent l'esprit et le dévorent, en plus de consumer le corps, faisant oublier un bonheur appartenant définitivement au passé.
Une performance exceptionnelle de Rita Burkovska
Dans cette grisaille omniprésente, Lilia choisit de garder un bébé qu'elle n'a pas voulu. Cette grossesse semble à la fois devenir pour elle une matérialisation de l'espoir et une obligation d'avancer. Les dernières minutes touchantes, qui marquent la renaissance de ce "papillon" et révèlent son choix pour l'avenir, provoquent de nouveaux questionnements moraux et restent longtemps en tête.
Ce qui frappe le plus est sans doute l'apaisement enfin visible sur le visage de Rita Burkovska. Quasiment de tous les plans, la comédienne livre une performance exceptionnelle, réussissant à la fois à être indéchiffrable tout en retranscrivant une large palette d'émotions. Une interprétation à l'image de ce long-métrage passionnant malgré son rythme inégal, dur et poignant.
Butterfly Vision de Maksym Nakonechnyi, en salles le 12 octobre 2022. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces. Le film a été présenté dans la section Un certain regard au Festival de Cannes 2022, ainsi que lors de la 9e édition du Festival de Saint-Jean-de-Luz.