CRITIQUE / AVIS CINÉMA - Après le mastodonte "Avengers : Endgame", Anthony et Joe Russo retrouvent Tom Holland pour "Cherry". Un long-métrage d'un autre genre, où l'interprète de Spider-Man campe un soldat atteint de stress post-traumatique qui sombre dans l'addiction à la drogue.
Cherry : les frères Russo descendent d'un étage
Cherry est la première réalisation de Joe et Anthony Russo depuis qu'ils en ont terminé avec l'univers étendu Marvel. Retour à un cinéma plus modeste pour le duo, qui embarque avec lui Tom Holland. L'acteur de 24 ans ne cesse de s'installer comme l'un des plus talentueux de sa génération et incarne ici un soldat en pleine crise après son retour d'Irak. Le scénario s'inspire du roman éponyme écrit par Nico Walker dans lequel il raconte en partie son histoire. Soit celle d'un médecin de l'armée américaine qui revient chez lui. Mais impossible de reprendre une vie normale après les événements vécus au front. Pris à la gorge par un stress post-traumatique qui l'handicape au quotidien, il commence à plonger dans la consommation de drogue dure. Devenu addict mais dans l'incapacité de payer ses doses, il devient braqueur de banques pour obtenir de l'argent.
Après leur expérience chez Marvel, Anthony et Joe Russo peuvent se targuer d'être les réalisateurs du plus gros succès de tous les temps. Mais une aussi grosse machine ne laisse pas tant de place que ça à la créativité. Une production plus minime leur permet de s'accorder une plus grande liberté et ils vont en profiter sans se faire prier. Loin du tumulte de la conception d'un blockbuster, Cherry devient leur échappatoire pour tenter des choses et réclamer une certaine légitimité auteurisante. Sans aller jusqu'à dire qu'ils ne sont pas responsables du succès d'Avengers : Endgame, on peut avancer sans trop se tromper qu'ils n'étaient qu'un rouage dans une machine qui se serait montée d'à peu près la même manière sans eux. Or, ici, ils font tout pour se signaler derrière la caméra.
Un film trop éparpillé
Du style, ils veulent en injecter partout, avec de nombreux effets à tous les étages. Comme s'ils avaient besoin de démontrer qu'ils savent avoir de la personnalité. Cherry accumule du début à la fin les tentatives stylistiques qui se veulent cool. Malgré l'entrain des réalisateurs et leurs petites expériences, la plupart ne dépassent pas le stade de l'insignifiance (mention spéciale à ce plan filmé depuis un anus). Tout devient un prétexte pour envoyer une idée visuelle qui va taper à l'œil et l'ensemble manque rapidement d'une tenue homogène.
Ce récit d'apprentissage mange à tous les râteliers sans se trouver sa propre identité. On voit les références affluer, en même temps que Cherry peine à se trouver une voie qui lui est propre. La romance typée indé qui occupe la première partie reste assez réussie mais on ne peut pas en dire autant du passage en Irak. Les frère Russo se vautrent littéralement avec ce morceau central. Quand ils ne singent pas Full Metal Jacket avec l'entraînement, ils n'arrivent pas à insuffler de souffle aux scènes sur le terrain. Du souffle, il en manque encore plus quand le récit se replace aux Etats-Unis. Les scènes de braquage sont d'une platitude confondante alors qu'elles devraient être un défi psychologique et moral pour Cherry.
La drogue c'est mal, m'voyez
La tension absente, il reste quelques scènes dramatiques pour pimenter cette longue descente aux enfers. Si les réalisateurs manquent la marche dès qu'une esquisse de tension doit soutenir le récit, ils sont plus percutants dans l'importance qu'ils accordent à la description des ravages provoqués par les opioïdes. Les effets de cette drogue sur le corps ne sont pas cachés et Cherry fait preuve de frontalité, sans prendre le sujet par-dessus la jambe.
Un sérieux qu'on aurait aimé être plus généralisé, tant le film hésite sur le ton à adopter tout du long. Parfois cru, il est aussi étonnamment light et cède à un humour pas des plus réussis. On en revient au manque "d'une tenue homogène" évoqué précédemment. Ces deux heures et quelque bien remplies tâtonnent, hésitent, font une chose et son contraire. Il y a une réelle complexité à décrire clairement ce que l'on regarde. Une histoire mi-légère/mi-dramatique, qui fait un détour vers le cinéma guerrier et devient un tract anti-opioïdes sous couvert d'un pseudo-film de braquage. Tout crie distinctement que les frères Russo veulent nous épater avec un grand film mais ils ne trouvent pas la clé pour accomplir ce qu'ils ont en tête.
Tom Holland au top
Ils ont pourtant le bon goût de confier le premier rôle à Tom Holland, qui est dans une posture semblable à la leur. Lui aussi a explosé avec l'aide du MCU mais il faut désormais des références diversifiées pour confirmer le talent qu'on lui soupçonne. Il brille de mille feux dans Cherry et le film a l'air entièrement calibré pour le mettre en lumière. Superbe pas son allure adulescente, il porte (bien secondé par une excellente Ciara Bravo) la charge émotionnelle du film et provoque de par son physique un décalage qui rappelle Forrest Gump. Avec ce personnage qui n'a pas la carrure pour vivre ce qu'il traverse - il explique d'entrée qu'il ne comprend pas "ce que font les gens."
L'actuel détenteur du costume de Spider-Man avait déjà démontré de belles prédispositions dans Le Diable, tout le temps et il trouve ici sa performance la plus aboutie. Il s'accomplit avec plénitude dans ce rôle où il peut s'illustrer sur différents registres de jeu. Au travers de ce récit tumultueux, c'est sa propre mue qui devient le cœur du film. Le processus de maturation dans lequel est engagé le personnage est moins le sien que celui de l'acteur qui le porte. La fin du film se pare alors d'un double sens frappant : la sortie de prison de Cherry résonne comme une entrée dans la cour des grands pour Tom Holland. Les frères Russo nous disent, avec ce dernier champ-contrechamp lumineux, que le meilleur est à venir.
Cherry des frères Russo, disponible sur Apple TV+ le 12 mars 2021. Bande-annonce ci-dessus. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.