CRITIQUE / AVIS FILM - Avec "Civil War", Alex Garland fait vivre de manière intense les derniers jours d'une guerre civile aux États-Unis en suivant un groupe de reporters.
Alex Garland de retour aux affaires avec Civil War
Dix ans se sont écoulés depuis qu’Alex Garland s’est aventuré derrière la caméra avec le fascinant Ex machina (2014). Après cela, le cinéaste n’a pas entièrement convaincu avec Annihilation (2018) et Men (2022), qui affichaient les limites d’un réalisateur apparaissant de plus en plus comme un petit malin, plus que comme un auteur intellectuel de génie. Avec Civil War, son quatrième long-métrage, il rebat les cartes en revenant à quelque chose de plus terre-à-terre et grand public. Un film construit comme un blockbuster pour adulte, produit par le réputé studio indé A24.
Civil War présente un futur dystopique dans une Amérique en pleine guerre civile. Difficile de ne pas redouter de l’anticipation quand on repense à l’assaut du Capitole lancé par des partisans de Donald Trump le 6 janvier 2021, et lorsqu’on observe le climat politique tendu actuellement aux États-Unis et les nombreuses divisions. Cependant, Alex Garland laisse volontairement le flou sur les causes de cette guerre civile. Il n’en présente que les derniers jours. Mais on comprend notamment que le pays s’est divisé, que deux états (le Texas et la Californie) se sont alliés, et que le président en place n’a pas hésité à bombarder des civils.
Sentant le vent tourner, Lee Smith (Kirsten Dunst), une célèbre photographe, et Joel (Wagner Moura), le journaliste qui l’accompagne, vont traverser le pays en direction de Washington pour être les témoins de la chute inévitable de ce gouvernement dictatorial. Ils sont alors rejoints par Sammy (Stephen McKinley Henderson), un confrère et ami, et par Jessie (Cailee Spaeny), une jeune fille qui souhaite marcher dans les pas de Lee Smith.
Un film de guerre anti-guerre
La grande force d’Alex Garland avec Civil War est de rendre compte de ce climat angoissant tout au long du trajet que vont effectuer les reporters, par un juste équilibre de réalisme et de sensationnel. Dès les premiers instants, on note l’excellent travail sonore qui renforce la tension qui ne fera que monter crescendo. En une scène, on capte l’approche du réalisateur et les enjeux à venir. Durant une manifestation, Lee observe l’événement derrière son objectif, et aperçoit Jessie, plus inexpérimentée que jamais. Après une explosion provoquée par un attentat suicide, Lee ne se laisse pas submerger par les émotions et reprend rapidement son appareil pour immortaliser la scène.
Une séquence glaçante qui donne le ton. Mais Alex Garland n’est pas là uniquement pour proposer des images fortes (bien qu’il y en ait un paquet). En filmant ce chaos, le réalisateur pointe l’absurdité qu’il peut y avoir dans les conflits, et les dilemmes moraux pour les personnes impliquées (surtout pour Jessie). En atteste une autre séquence, où deux hommes armés tentent d’éliminer un sniper embusqué. Qui sont-ils, qui leur tire dessus, et à quel groupe appartiennent-ils ? Aucune importance. L’un tire, l’autre riposte, c’est aussi simple que cela - pour d’autres il sera question de xénophobie ou de pure méchanceté. C’est cette absence de justification légitime dans les oppositions qui effraie.
Road movie sous fond d’apocalypse
Civil War parvient ainsi à combiner le spectacle tendu et d’une grande beauté visuelle, avec un discours engagé évident sur les divisions politiques aux États-Unis. Mais au-delà de ce décor général, c’est la complexité des protagonistes, et leurs contradictions, qui sont les révélateurs de la vision nihiliste du réalisateur. Des personnages « manniens », présentés comme de vrais professionnels, capables de faire abstraction de leurs émotions. Ces contradictions, on les remarque par les intentions moins nobles de Joel (envers Jessie), ou par le mal-être intérieur de Lee Smith. Il y a ainsi une incompatibilité entre les mots des personnages et leurs actes, entre une mission à l’héroïsme fantasmé et la réalité.
Alex Garland capte remarquablement la fêlure de Lee, dans ce moment d’introspection où elle observe paisiblement l’herbe au milieu des tirs du sniper. Tout ce road trip chaotique mènera alors Lee à sa chute émotionnelle, tandis que Jessie fera le chemin inverse. De novice éprouvée par les événements, elle deviendra une véritable machine déshumanisée lors d’un final explosif, point de non-retour pour l’une et l’autre. En faisant se croiser les trajectoires de ces deux femmes, parfaitement interprétées par Kirsten Dunst et Cailee Spaeny, Alex Garland développe une réflexion sombre et pessimiste sur le monde en guise d’avertissement. Un sentiment de désespoir ressort de ce troublant Civil War aux airs d’Apocalypse Now (1979). Un film en tout point captivant qui ne laisse en aucun cas indemne.
Civil War d'Alex Garland, en salles le 17 avril 2024. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.