CRITIQUE / AVIS FILM - "Promenons-nous dans les bois"... Elizabeth Banks nous prend par la main pour une virée gore et hilarante dans une forêt où rôde un ours défoncé à la cocaïne. Un film de pur plaisir, qui fait de sa stupidité assumée un spectacle surprenant et joyeux. On en redemande !
Éloge d'un cinéma en voie de disparition
Le quitte ou double d'Elizabeth Banks a fonctionné et, soulagement, Crazy Bear ne sera pas son dernier film. Elle qui s'inquiétait de la réception de son film peut souffler, elle a en effet réussi son pari haut la main. Au point d'insister dans ce registre de la comédie qui n'en a strictement rien à foutre d'autre que de s'amuser ? Pas sûr, puisque ce registre n'existe de toute façon plus, ou tout du moins à ce niveau : celui d'une distribution internationale dans les cinémas.
Avant même de rentrer dans le détail de ce film qui, aujourd'hui, ne ressemble à aucun autre, on peut ainsi le féliciter sur ces deux aspects : celui d'exister, tout simplement, et d'exister au cinéma. Dans un paysage cinématographique actuel très prudent et tendu c'est, en soi, déjà, une très belle performance.
Un film plus heureux que son histoire vraie
L'histoire de Crazy Bear (tristement renommé ainsi alors que son titre original Cocaïne Bear était parfait) est une histoire vraie, au moins sur son introduction. En 1985, un trafiquant de cocaïne, Andrew C. Thornton II, largue depuis son avion sa marchandise au-dessus d'une forêt de Géorgie du Nord, avant de rater son saut en parachute et d'en mourir. Lorsque les autorités retrouvent les paquets de drogue, ils tombent aussi sur le cadavre d'un ours. Celui-ci a ingéré plusieurs kilos de poudre blanche et a logiquement overdosé.
Sur cette malheureuse histoire de consommation de cocaïne par un animal, Elizabeth Banks a imaginé que l'animal y ait survécu. Mieux encore, qu'il ait pris un pied incroyable à s'en envoyer des kilos dans la truffe, et qu'il ait fait de sa forêt un grand bac à sable de pur massacre. Que ce soit les rangers incompétents du parc, des infirmiers dépassés, des trafiquants déprimés ou des enfants en balade, un flic sympathique qui aime les chiens ou encore des jeunes délinquants pas très futés, personne ou presque n'en sortira indemne.
Adorablement stupide et souvent surprenant
Crazy Bear ne se retient sur rien, et c'est exactement ce qu'il fallait faire. Dans un mélange explosif et harmonieux entre le slasher et le stoner, la réalisatrice fait voler toutes les considérations morales ou esthétiques qui auraient empêtré le pur plaisir de son film. Il ne faut ainsi pas très longtemps pour voir deux jeunes enfants tenter (sans succès) la dégustation d'une grosse cuillère de cocaïne chacun. Ce à quoi répond, plus tard, l'apparition de deux adorables oursons eux-mêmes défoncés.
Puisqu'il y a dans cette forêt un volume important de cocaïne à récupérer, on parle de dizaines de millions de dollars, deux petits dealers sont envoyés sur place. Mais un des deux, fils du narco-trafiquant responsable de la cargaison perdue, est en deuil et complètement déprimé. Un trait qui génère de l'empathie, alors que le personnage est théoriquement du mauvais côté. Et à l'inverse, les "gentils" sont bien trop naïfs pour qu'on se plaigne de la violence animale qui s'abat sur eux.
De côtés, bon ou mauvais, il n'y en a en réalité pas dans Crazy Bear, dans ce film qui veut exclusivement faire rire autant que possible et surprendre son public avec des morts très inventives. C'est considérablement stupide, élevant l'humour potache à son meilleur, et très souvent surprenant. En effet, puisqu'il n'y a pas d'autre intrigue que, "un ours défoncé à la cocaïne rôde dans les bois", la curiosité reste éveillée par la poursuite constante d'un "plus loin". Après chaque scène, on se demande naturellement quelle sera la suivante, et Elizabeth Banks ne déçoit jamais.
Une substance pure et à bon prix
Crazy Bear aurait sans doute pu se choisir plus intensément une forme. Se donner une posture, accumuler les références aux films des années 80 et 90, passer d'un ton à l'autre, explorer plus précisément le genre horrifique... Mais ce faisant, Crazy Bear se serait tiré une balle dans le pied de sa nécessaire simplicité : lâcher un super-prédateur sous coke dans une forêt et savourer le massacre. Le sang gicle, les membres sont arrachés, les abdomens éviscérés, le tout dans la joie et la bonne humeur. La recette est simple et diablement bonne.
À partir de là, Crazy Bear ne s'embarrasse ni de money shot ou de master shot, la caméra se place simplement là où l'ours apparaît et là où les personnages essayent pathétiquement de contrôler la situation. Ceux-là, incarnés par un casting inspiré, notamment le regretté Ray Liotta, la très drôle Margo Martindale et l'attachant Alden Ehrenreich, semblent aussi s'éclater à subir la furie joyeuse de l'ours.
Peu importe le temps à l'écran et leur impact sur le déroulement de Crazy Bear - ces personnages sont essentiellement de la chair à dévorer -, aucune des apparitions n'est de trop. Mention spéciale aux deux jeunes enfants, formidables Brooklynn Prince et Christian Convery, ainsi qu'aux deux infirmiers interprétés par Scott Seiss et Kahyun Kim.
Évidemment, le personnage principal du film est l'ours et le soin apporté à sa création et son animation indique que la production ne s'est pas trompée au moment de dépenser son budget (un peu plus de 30 millions de dollars). Si on passe sur sa consommation orgiaque de cocaïne - , celui-ci est tout à fait crédible, et même attachant tant il semble heureux de ce qui lui arrive. C'est tout ce qu'on pouvait attendre, et c'est exactement ce qu'on obtient. Deal done.
Crazy Bear d'Elizabeth Banks, en salles le 15 mars 2023. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.