CRITIQUE / AVIS FILM - Après « Doubles vies », Olivier Assayas quitte la France pour voyager entre Cuba et Miami. Avec « Cuban Network », le réalisateur s’intéresse aux destins d’espions cubains infiltrés dans des réseaux qui planifient, depuis les États-Unis, des attentats contre le régime et le pays de Fidel Castro. Cette incursion du réalisateur dans le thriller d’espionnage mérite-t-elle le détour ?
Changement de registre, et de décor, pour Olivier Assayas. Après s’être concentré sur le monde de l’édition avec Doubles vies, le cinéaste se penche sur celui de l’espionnage avec Cuban Network. Le réalisateur quitte au passage Paris pour naviguer entre Cuba et Miami.
Adaptation de l’ouvrage The Last Soldiers of the Cold War du journaliste et politicien Fernando Morais, le long-métrage débute en 1990, quelques mois après la chute du mur de Berlin, alors que Cuba est sous le joug d’un embargo commercial imposé par les États-Unis. Un matin, le pilote René Gonzalez (Edgar Ramírez) quitte l'île de manière illégale, abandonnant sa femme Olga (Penélope Cruz) et sa fille Irma sans les prévenir de son départ. Arrivé à Miami, Gonzalez rejoint un réseau d’exilés cubains déterminé à faire tomber le régime communiste de Fidel Castro. Mais la réalité n’est parfois pas celle que l’on croit…
Un sujet complexe, méconnu et passionnant
Transposer à l’écran une histoire étalée sur une décennie, impliquant de nombreux protagonistes aux convictions politiques radicalement différentes, est un exercice relativement périlleux. C’était sans compter sur le talent d’Olivier Assayas, qui parvient à faire défiler une succession de faits en les reliant progressivement, en ne tombant à aucun moment dans un didactisme lourdingue. Le réalisateur prend le temps de dépeindre l’arrivée aux États-Unis des exilés, sans pour autant dévoiler leurs véritables motivations.
Le spectateur se retrouve transporté entre diverses intrigues, entre différentes attitudes plus ou moins troubles, se demandant ainsi quelle sera la finalité de ce récit mené avec énergie. Puis, au milieu du film, grâce à un flashback, Olivier Assayas relance tous les enjeux dramatiques, rassemble les personnages et tient en haleine le public avec les retombées parfois bouleversantes de ce que certains considèrent comme des actes patriotiques, et d’autres comme des actes de trahison.
En dépeignant le quotidien d’exilés balancés d’un gouvernement à un autre, parfois contraints de se séparer de leurs proches, le réalisateur réussit à mettre en avant la complexité des relations entre les États-Unis et Cuba. Le cinéaste n’impose aucun point de vue, évite tout manichéisme et s’intéresse avant tout aux retombées humaines et collatérales d’un conflit politique. Par le biais de séquences intimistes poignantes, à commencer par celles entre Penélope Cruz et Edgar Ramírez, ou de pures scènes d’espionnage parfois très intenses, Cuban Network retrace des faits méconnus avec une densité rare, et parvient à susciter de nombreuses interrogations après l’apparition du générique.
Un casting impressionnant
Pour faire exister les nombreux personnages au sein d’une narration extrêmement riche et tortueuse, Olivier Assayas a pu compter sur la présence de formidables acteurs. Tous savent apporter la part de mystère et de réserve nécessaire aux protagonistes, à commencer par Wagner Moura, Gael García Bernal et Edgar Ramírez, déjà dirigé par le cinéaste dans Carlos.
La relation entre ce dernier et Penélope Cruz est sans aucun doute l’un des points les plus forts du film, et reflète parfaitement la scission que peut provoquer le régime cubain au sein d’une famille. La pudeur de ces deux personnages bouleverse, surtout dans le dernier tiers du long-métrage, où leur destin se scelle alors qu’ils étaient quasiment passés sous les radars jusqu’ici. Le travail des comédiens sur l’accent cubain est lui aussi remarquable.
Cuban Network est un long-métrage qui peut s’avérer déroutant de par son rythme en dents de scie et sa multiplicité d’informations. Néanmoins, il réussit à la fois à synthétiser - avec une distance qui n’annihile jamais les émotions - les différentes visions d’un régime contradictoire, au même titre que les interventions opportunistes et tout aussi paradoxales des États-Unis. Rien que pour sa richesse thématique et la qualité générale de l’interprétation, il serait dommage de passer son chemin.
Cuban Network, en salles le 29 janvier 2020. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.