CRITIQUE FILM - Dans "Dark River", Ruth Wilson, toujours bluffante, revient dans son Yorkshire natal pour faire face à la mort de son père et à ses démons du passé.
Après la mort de son père, Alice (Ruth Wilson) décide enfin de retourner chez elle, dans la ferme familiale, après quinze ans d’absence. Elle y retrouve son frère, Joe (Mark Stanley), qui aura eu bien du mal à s’occuper, en son absence, de leur père malade et de la ferme.
Révélée à la Quinzaine des Réalisateurs de Cannes en 2013 avec Le Géant égoïste, Clio Barnard renoue pour son troisième long-métrage avec le Yorkshire anglais et ses verts pâturages. Intéressée par le monde agricole, elle délaisse cette fois la jeunesse au profit de deux adultes, marqués par un passé trouble.
Un sentiment d’inachevé
Avec Dark River, Clio Barnard se veut délicate au possible. Réduisant les dialogues au strict minimum et les rendant à peine audibles, tout devra passer par les non-dits. À ce jeu-là, la réalisatrice se montre convaincante. Bénéficiant avant tout de deux commédien.ne.s d’exception. Ruth Wilson, aux antipodes de ses rôles dans Luther ou The Affair, joue la carte de la fragilité. Tremblante, refusant les contacts, et à peine capable de regarder son frère dans les yeux, elle dégage une émotion forte et s’imbrique parfaitement dans cet univers rural – par ailleurs sous exploité. Face à elle, Mark Stanley n’est pas en reste avec son physique imposant qu’il évite de mettre en valeur en apparaissant constamment voûté.
Cependant, s’il n’y a rien à redire sur le duo, qui porte sur ses épaules le film, la démarche de Clio Barnard a ses limites. Certes, l’usage de gros plans sur les visages renforce ce sentiment d’étouffement permanent. Celui de flashbacks abrupts pour dévoiler le passé d’Alice et Joe n’est pas sans rappeler la méthode de Jean-Marc Vallée. Et on pourra noter la lumière douce-chaude proposée par Adriano Goldman. Mais il est clair que le scénario de la cinéaste ne tient qu’à trop peu de chose.
La contemplation du mal-être
Ainsi, on comprend assez vite que le père abusif (interprété par Sean Bean) est à l’origine des maux de ces adultes incapable de se construire correctement. Et que l’un et l’autre s’en veulent respectivement et se culpabilisent de ne pas s’être aidé. L’ajout d’éléments plus politique, concernant les conditions de travail des agriculteurs, ne suffit quant à lui pas à enrichir suffisamment l’œuvre de Clio Barnard. Celle-ci, refusant de rendre plus dramatique une situation qui l’est déjà, a alors recours à un style contemplatif pas dénué d’une certaine beauté, mais qui a vite fait d’être rébarbatif.
Dark River aurait presque des airs d’épisode pilote de mini-série anglaise, et ce dès son ouverture, envoûtante sur fond d’An Acre of Land de PJ Harvey. D’ailleurs, que ce soit pas sa thématique ou son style, on en viendrait à penser à Sharp Objects, nouvelle série HBO, justement réalisée par Jean-Marc Vallée. Tout deux se concentrant sur un personnage obligé de payer les fautes du parent (le père pour Dark River, la mère pour Sharp Objects). Le hasard du calendrier, qui veut que les deux œuvres nous arrivent en France quasiment en même temps, n’en est que plus intrigant.
Au final, en dépit de manques évident, Dark River se veut une œuvre sensible et fébrile. À l’image de son héroïne, le film pourrait s’écrouler au moindre coup de vent. Il a néanmoins, là encore, comme Alice, une force cachée. Un regain d’émotion dans les moments les plus opportuns (et surtout d’empathie pour Ruth Wilson), dont sa dernière scène, qui livre un face-à-face bouleversant. Si elle parvient à toucher à bien des égards, il est dommage que Clio Barnard ne soit pas allée prendre davantage de risque pour rendre son Dark River, peut-être moins minimaliste, mais alors bien plus marquant.
Dark River de Clio Barnard, en salle le 11 juillet 2018. Ci-dessus la bande-annonce.