Après deux mélodrames très réussis, Todd Haynes s’attaque à DuPont, géant américain de l’industrie chimique. Le cinéaste s’intéresse à la lutte de Robert Bilott, avocat qui s’est retourné contre l’un des clients de son cabinet après une découverte alarmante. Porté par Mark Ruffalo, « Dark Waters » s’inscrit-il dans la lignée des grandes investigations cinématographiques américaines ?
Changement de registre pour Todd Haynes. Après la sublime histoire d’amour de Carol et l’appel à la découverte du Musée des merveilles, le cinéaste braque ses caméras sur un scandale de santé publique, et sur l’homme qui a tenté de l’enrayer. Dark Waters raconte l’histoire de Robert Bilott, avocat spécialisé dans la défense des industries chimiques.
Le magistrat reçoit un jour la visite de Wilbur Tennant. Ce fermier de Parkersburg, en Virginie-Occidentale, voit ses vaches mourir les unes après les autres dans son exploitation. En débutant l’enquête, Robert Bilott se rend compte que l’eau de la ferme, et plus globalement de Parkersburg, est polluée par les déchets toxiques de l’entreprise DuPont. Commence alors un long combat contre l’un des géants de l’industrie chimique.
Une enquête passionnante
Au vu de ses récents projets, la présence de Todd Haynes à la réalisation de Dark Waters peut paraître étonnante. Initié par Mark Ruffalo, le long-métrage permet en réalité au cinéaste de concilier une thématique et un parti-pris précédemment abordés dans sa carrière. En 1995, Haynes s’intéressait déjà aux conséquences dramatiques de l’exposition aux substances chimiques et autres matières synthétiques avec le drame Safe, porté par Julianne Moore. Trois ans plus tard, Velvet Goldmine, inspiré par les stars du glam rock comme David Bowie et Iggy Pop, prenait la forme d’une enquête menée par un journaliste interprété par Christian Bale.
Todd Haynes paraît donc extrêmement à l’aise sur Dark Waters, investigation filmique qui s’inscrit dans la droite lignée des Hommes du président, Révélations ou encore Jeux de pouvoir. Si le long-métrage fonctionne aussi bien et s’avère passionnant de bout en bout, c’est parce qu’il prend le temps de se concentrer sur la découverte du scandale, sur les retombées désastreuses auprès des familles et de la communauté impactées mais aussi sur la désillusion et l’enfermement vécus par son protagoniste.
Étalé sur plusieurs années, le film accorde énormément d’importance à l’évolution des personnages, de leurs convictions, de leur état de santé et de leur épuisement face à DuPont. En résulte des scènes très émouvantes, à l’image de l’ultime rencontre entre Robert Bilott et Wilbur Tennant, une décennie après l’appel à l’aide du fermier. La manière d’aborder le temps de Todd Haynes est probablement l’un des procédés narratifs les plus efficaces pour dénoncer l’impunité et la toute-puissance d’une entreprise comme DuPont. Le choix de retracer de manière chronologique le travail colossal de Robert Bilott ne fait que décupler les enjeux dramatiques et l’implication du spectateur, et contribue ainsi grandement à la réussite de Dark Waters.
Justice pour tous
En acceptant d’intenter un procès contre DuPont, Robert Bilott s’est non seulement mis à dos une firme cliente de son cabinet, mais aussi certains de ses plus proches collaborateurs aux ambitions bien différentes des siennes. Mais dans le film, les actes du personnage incarné par l’excellent Mark Ruffalo ne sont jamais totalement considérés comme une sorte de trahison par son entourage, à l’inverse du flic interprété par Al Pacino dans Serpico, déterminé à enrayer la corruption policière. À l’inverse, son dévouement découle sur certaines réactions étonnantes, à commencer par celles de son patron, joué par Tim Robbins, dont le soutien apporté à l’avocat ne cesse de surprendre.
Le mutisme et l’isolement de Robert Bilott, associés à son besoin indéfectible de faire valoir la justice, rappellent le détective incarné par Edward Norton dans le récent Brooklyn Affairs. Le long-métrage et Dark Waters partagent d’ailleurs de nombreux points communs, à commencer par le fait d’évoquer la fracture sociale, individuelle et collective, à des époques différentes.
Est-il possible pour un groupe d’individus de mettre à mal une corporation aux méthodes malhonnêtes et au pouvoir grandissant ? Si oui, à quel prix ? Ces questions, aussi redondantes soient-elles au cinéma, sont toujours actuelles et Dark Waters, tout comme Brooklyn Affairs, tente d’y apporter un semblant de réponse avec brio. Un échange entre Robert Bilott et sa compagne, incarnée par Anne Hathaway, résume à merveille la difficulté et la nécessité d’une telle lutte, au même titre que la dernière réplique de l’avocat qui, comme le final bouleversant de Carol, laisse le spectateur sur une note d’espoir profondément réconfortante.
Dark Waters, en salles le 26 février 2020. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.