CRITIQUE / AVIS FILM - "De Gaulle" vient célébrer cette année 2020 l'anniversaire des 80 ans de l'appel du 18 juin, et les 50 ans du décès de Charles de Gaulle. Mais le film le fait en choisissant de montrer le parcours intime de cet homme, alors qu'il quitte la France et sa famille pour organiser la lutte contre l'occupant nazi depuis Londres.
Le film de Gabriel Le Bomin, sobrement intitulé De Gaulle, est un film étonnant. Il s'agit tout d'abord du premier film de cinéma au sujet du général, un des libérateurs de la France pendant la Seconde Guerre mondiale, fondateur de la Ve République et dont le modèle d'homme d'état est encore un idéal pour une large partie de la classe politique. S'il a déjà été le sujet de productions pour la télévision, c'est la première fois que Charles de Gaulle se retrouve ausculté dans une production pour le grand écran. C'est donc, déjà, un petit événement.
Autre originalité, le film ne montre pas au premier plan le chef de guerre, et l'homme qui avait "une certaine idée de la France". De Gaulle montre l'homme, l'époux et le père de famille, au moment historique de l'invasion allemande et de son départ en juin 1940 pour Londres, jusqu'au célèbre appel du 18 juin diffusé par la BBC. Avec Lambert Wilson dans le rôle-titre et Isabelle Carré dans la peau d'Yvonne de Gaulle, le film propose une vue précise et inédite d'un moment historique, mais depuis la perspective de l'exil familial, et dispersé, de la famille "de Gaulle".
Un film d'une très grande précision
Le nom de Gabriel Le Bomin n'est pas forcément très connu, et pourtant il était sans doute le seul capable de mener un tel projet. De Gaulle est son quatrième long-métrage de cinéma, après notamment Les Fragments d'Antonin et Nos Patriotes, deux films qui traitent respectivement de la Première et la Seconde Guerre mondiale. Par ailleurs, sa filmographie est riche de plusieurs documentaires, téléfilms et courts-métrages historiques, traitant pour l'essentiel de plusieurs guerres et plusieurs figures historiques. Trêve de mystères, Gabriel Le Bomin a la particularité d'avoir passé pas mal d'années au service cinématographique des armées. Au moment de s'attaquer à la plus grande figure militaire et politique française du XXe siècle, il fallait bien ce pedigree.
Dès lors, on s'immerge facilement dans le film avec une précision exemplaire du déroulé des événements, et par le soin apporté à la reconstitution : les décors, les accessoires, les costumes et les manières des personnages représentés sont criants de vérité. Avec cette précision couplée à la sobriété de la mise en scène, le film réussit l'exercice périlleux d'être didactique sans ennuyer, et d'infuser dans cette description historique une narration où l'émotion est réelle.
Émouvant, le général ? L'histoire en a fait une figure droite, une statue inébranlable, un homme si attaché à la dignité de la France et de ses représentants qu'il en semblerait presque inhumain. Pourtant, avant d'être le sauveur de la France et le premier Président de la Ve, Charles de Gaulle est un haut-gradé de l'armée française qui cherche sa place, qui a du respect pour Pétain, héros de la Première Guerre, et qui n'a que très peu de soutiens au sein d'un gouvernement de guerre en débâcle. Qui est-il alors ? Il est un père de famille, marié à Yvonne Vendroux, un catholique aussi, qui tient à la messe dominicale et qui trouve du bonheur à voir sa famille réunie. C'est là où le film propose une vue inédite, et un rôle dans lequel Lambert Wilson excelle.
Lambert Wilson excelle dans ce rôle intime
On sait que Charles de Gaulle est parti à Londres pour convaincre Churchill d'aider les forces résistantes françaises, à Londres comme sur le territoire national. On sait beaucoup moins que sa femme et ses trois enfants, Philippe, Élisabeth et Anne, ont pris les routes de l'exode pour tenter de le rejoindre, bravant mille dangers. Enfin, on le sait mais encore assez peu, leur fille Anne était atteinte de trisomie 21. Le film met d'ailleurs en scène une célèbre photographie du général et de sa fille sur une plage, une tendresse que le public imagine rare chez ce personnage historique. Maquillé et le visage modifié par des prothèses, ayant aussi travaillé sa voix, l'acteur épouse parfaitement les traits et le corps de Charles de Gaulle.
Pourtant, pour ce que l'on sait de cette situation familiale très compliquée à l'époque, il a toujours été dit que Charles de Gaulle se montrait avec sa fille Anne très joyeux, exubérant, finalement assez éloigné de son image publique. Lambert Wilson réussit ici à lier l'obsession de l'homme pour la grandeur de la France et sa fébrilité de mari et de père, obstiné dans ses tâches politiques et militaires et profondément inquiet quant à ses proches. À ses côtés, Isabelle Carré joue avec une grande justesse la figure discrète d'Yvonne de Gaulle, dont la grande discrétion n'avait d'égale que sa détermination à sauver sa famille.
La double aventure qui se déroule, celle du général qui court de Paris à Bordeaux puis à Londres, enfin celle de sa famille jetée sur les routes puis embarquée sur une traversée très risquée de la Manche, raconte une concomitance entre la volonté de de Gaulle de sauver la France et celle de sauver sa famille, qu'il aime éperdument. Pour raconter entièrement cette histoire de dignité et d'amour, le reste du casting remplit parfaitement ses rôles. Si le film ne surprend pas par sa forme, il le fait en choisissant cet angle inédit et parfaitement maîtrisé, et apporte au général de Gaulle une humanité et une tendresse largement laissées en arrière-plan par la matière historique. À cet égard, c'est un film brillant.
De Gaulle de Gabriel Le Bomin, en salle le 4 mars 2020. Ressortie exceptionnelle le 22 juin 2020. La bande-annonce ci-dessus. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.