CRITIQUE FILM - Ce mercredi 15 août, "Do the Right Thing" a droit à une ressortie au cinéma une semaine avant la sortie "BlackKklansman". Voici quelques raisons qui devraient vous donner envie de (re)découvrir le premier chef d'oeuvre caniculaire de Spike Lee.
Alors que bon nombre de ses derniers films n'est pas sorti dans nos salles (Chi-Raq, Da Sweet Blood of Jesus), Spike Lee fera enfin son grand retour au cinéma le 22 août prochain avec BlackKklansman, auréolé du Grand Prix au dernier Festival de Cannes. Avant cela, il nous est possible de (re)découvrir en salle cette semaine le génial Do the Right Thing, son troisième long-métrage sorti en 1989 et considéré, à juste titre, comme son premier chef d’œuvre.
Le film dévoile le quotidien d’un quartier de Brooklyn en pleine canicule. Mookie, interprété par Spike Lee, y livre des pizzas pour Sal, qui tient l’une des pizzerias emblématiques de Bed-Stuy. Entre ses fils et d’autres habitants du coin, les tensions montent à cause du racisme ambiant. Elles ne feront qu'amplifier jusqu’à un point de non-retour lorsqu’un afrocentriste surnommé Buggin’ Out, influencé par les préceptes de Malcolm Little, décidera de boycotter le restaurant de Sal, qui n’a accroché que des portraits d’Italo-Américains dans son établissement situé dans un quartier majoritairement afro-américain.
Une galerie de personnages inoubliables
Le casting de Do the Right Thing est particulièrement impressionnant et compte bon nombre d’acteurs fétiches du réalisateur. Samuel L. Jackson, Ruby Dee, Ossie Davis, John Turturro, Bill Nunn ou encore Giancarlo Esposito font en effet partie de la distribution hallucinante.
Ils prêtent tous leurs traits à des personnages mémorables qui se complètent. De l’animateur radio Señor Love Daddy (Samuel L. Jackson) à Radio Raheem (Bill Nunn), en passant par Mother Sister (Ruby Dee) et Da Mayor (Ossie Davis), tous les protagonistes de l’œuvre ont une identité propre et un rôle clef dans l’histoire.
L’écriture des personnages est probablement l’un des plus gros points forts de Do the Right Thing. Quel spectateur a pu oublier le passage où Buggin’ Out (Giancarlo Esposito) éclate parce qu’un voisin, incarné par John Savage, salit par mégarde ses somptueuses Air Jordan ? Comment oublier les discours emplis de lucidité de Da Mayor, qui tient pourtant la réputation de plus gros poivrot du quartier ? Comment ne pas s’indigner face au comportement de Pino, la progéniture arrogante et ignorante de Sal que John Turturro campe à merveille ?
À travers une esthétique qui appuie en permanence sur la notion de chaleur, Spike Lee, qui connaissait très bien le quartier de Bed-Stuy et qui a été confronté aux problèmes évoqués dans le film, utilise son sens de l’observation pour créer des enjeux dramatiques parfaitement amenés. Mookie, le personnage qu’il interprète, occupe d’ailleurs ce rôle de témoin qui contemple les événements, impuissant et lassé.
Un condensé du cinéma de Spike Lee
Si l’engagement de Spike Lee a atteint son point culminant avec le biopic Malcolm X, Do the Right Thing était déjà porteur de toute la hargne et l’implication de son jeune auteur. Dès le départ, le cinéaste donne le ton dans son générique avec la danse de Rosie Perez sur le morceau Fight the Power de Public Enemy.
Dans la chaleur étouffante du quartier de Bed Stuy, les tensions entre les différentes communautés s’intensifient au fil du film jusqu’à atteindre leur paroxysme lors du final dramatique, qui fait tristement écho à la mort d’Eric Garner survenue à Staten Island 25 ans plus tard. Comme souvent chez Spike Lee, la violence n’est jamais éludée et est traitée de façon implacable. Contrairement à la fin de He Got Game, quasiment surréaliste, les dernières minutes de Do the Right Thing sont nettement plus pragmatiques, comme en témoigne la façon dont Mookie s’éloigne de la pizzeria de Sal. Fatigué des derniers jours brûlants qu’il vient de vivre, le jeune héros semble totalement blasé mais ne baisse pas pour autant les bras, loin de là. Cette conclusion pourrait d’ailleurs résumer l’état d’esprit d’un réalisateur qui n’a jamais mis de côté ses idéaux.
Si la rue est importante dans le cinéma de Spike Lee, ce qu’il se passe à l’intérieur des bâtiments conditionne tout autant les personnages. Avant la vie de famille de Crooklyn et les confrontations bouleversantes entre Samuel L. Jackson et Ruby Dee dans Jungle Fever, le quotidien dans les appartements new-yorkais tenait déjà une place capitale dans Do the Right Thing. Ici, c’est notamment l’attachement progressif entre Ossie Davis et Ruby Dee qui se joue dans le domicile de cette dernière, au cours d'une ultime scène commune extrêmement touchante. Les intérieurs surélevés offrent donc des moments d’accalmie à des personnages épuisés par les mouvements constants de la rue.
Par ailleurs, l’énergie de Spike Lee était déjà totalement perceptible à travers son sens du traveling, parfois utilisé de manière excessive dans ce troisième long-métrage. Avant le monologue bouleversant d’Edward Norton dans La 25e heure, le cinéaste s’exprimait déjà directement au spectateur. La tirade sur l’amour et la haine de Radio Raheem, reprise du classique La nuit du chasseur, est d’ailleurs l’un des passages les plus mémorables du long-métrage.
Tous ces éléments prouvent que le cinéma de Spike Lee a évolué avec cohérence mais surtout avec une sincérité absolue. Rien que pour cela et bien évidemment pour ses nombreuses qualités, Do the Right Thing mérite amplement un nouveau déplacement dans les salles obscures près de 30 ans après sa sortie.
Do the Right Thing de Spike Lee, à (re)découvrir au cinéma le 15 août 2018. Ci-dessus la bande-annonce.