CRITIQUE FILM - Seulement un an après avoir présenté « Une femme douce » en compétition, le cinéaste ukrainien Sergei Loznitsa revient en ouverture d'Un certain regard avec « Donbass », un imposant brûlot sur la guerre qui fait rage dans la région du Donbass, en Ukraine, depuis quatre ans maintenant.
On sentait déjà, dans Une femme douce, le plaisir qu’avait Sergei Loznitsa de mettre en scène de petites histoires parallèles, en apparence déconnectées de sa trame principale, alors concentrée sur les pérégrinations kafkaïennes d’une jeune femme bafouée, en quête de son mari retenu en prison. Celles-ci se dissimulaient dans l’arrière-plan, se planquaient sur le bas-côté ou ne duraient que le temps de quelques dialogues délirants. On y sentait aussi son goût inhérent pour la farce politique : dans Une femme douce, Loznitsa s’amusait à exacerber les contradictions et les exubérances d’un système bureaucratique sans fin.
Tout est, dans Donbass, de nouveau d’actualité. La farce comme les aspirations chorales y sont d’ailleurs amplifiées, étirées au sein des blocs narratifs distincts qui composent le film. Ceci à la différence près que Loznitsa laisse ici libre cours à des déambulations et relie ses différentes digressions narratives par des éléments que l’on pensait pourtant, lors de la scène précédente, anodins et anecdotiques. Des chutes d’obus nous mènent, par exemple, au groupe de militaires qui viennent de les tirer. Ou un reportage journalistique nous dirige vers le quotidien de rescapés qui se terrent dans des taudis délabrés, au sein desquels passent, en fond, les images télévisuelles du sujet dont on a pu voir précédemment toute la mise en scène.
Dans la mare
En lorgnant ainsi vers le film choral sans pour autant céder à la facilité du montage parallèle, Loznitsa prend le risque de perdre son spectateur face aux différents arcs tressés et reliés par des petits bouts de ficelles incongrus. Mais ce risque là est un mal pour un bien. Car Donbass est une sorte de film-somme: de la filmographie de son réalisateur comme du conflit ukrainien et de son pays d’origine, divisé entre une Union Européenne à laquelle plus personne ne croit vraiment et une Russie imposante et autoritaire, qui dicte par la force et selon ses propres règles le quotidien des personnes fatiguées de cette guerre, transformant les paysages ukrainiens en bourbiers mortifères.
Si Loznitsa reprend ce qui faisait, dans son précédent film, toute l’ambiguïté de son discours, et que l’on retrouve ici (il réaffirme certains postulats moraux et idéologiques polémiques et s’attarde, dans Donbass, à mettre en scène de manière absurde la manipulation contemporaine des images), on en retrouve aussi les relents sentencieux et lourdingues. Donbass, en étirant jusqu’à la nausée ses pugilats ou ses exclamations criardes, manque de peu de se vautrer dans son propre exercice, à deux doigts de nous dégoûter de son dispositif spectaculaire. On sent bien que Loznitsa a envie, en cela, de tout envoyer bouler en faisant tout exploser à l'écran. La démonstration de force qu’il perpétue dans Donbass, après celle, aussi imposante qu’insistante, de Une femme douce, n’est que le résultat de son ras-le-bol général. On peut le comprendre.
Donbass de Sergei Loznitsa, en ouverte de Un certain regard à Cannes, en salle le 26 septembre 2018. Ci-dessus la bande-annonce.