CRITIQUE / AVIS FILM - Avec son casting royal embarqué dans une satire du monde contemporain, Adam McKay réussit entièrement ce qu'il avait ébauché avec "The Big Short" et "Vice". Précis, drôle et très ambitieux dans son spectacle, "Don't Look Up" est une grande réussite.
Don't Look Up : une comédie très sérieuse
C'est au début de l'hiver que, depuis quelques années, Netflix sort l'artillerie lourde et présente des productions de très haut niveau. Il y a eu par exemple en 2019 The Irishman de Martin Scorsese et en 2020 Mank de David Fincher. Cette année, c'est Don't Look Up d'Adam McKay qui porte cet étendard. Don't Look Up raconte l'histoire de deux astrophysiciens qui, suite à la découverte d'une météorite "tueuse de planètes", vont tout faire pour alerter les autorités et l'opinion, espérant ainsi mettre en oeuvre une manoeuvre de sauvegarde de la planète. Y parviendront-ils ?
La réponse est dans le cinéma d'Adam McKay, un cinéma qui gagne de plus en plus en sérieux et s'attache à dénoncer les travers de notre civilisation, avec une maîtrise exquise de l'humour noir. C'était déjà l'ambition de ses deux précédents films, ça l'est encore dans Don't Look Up, et cette ambition est ici encore mieux réalisée. Après s'être amusé à redéfinir la grande comédie potache avec par exemple La Légende de Ron Burgundy et Frangins malgré eux, le scénariste et réalisateur veut passer à autre chose, gagner en maturité, ce qui implique aussi gagner en distance et, inévitablement, en cynisme.
Moins technique que The Big Short, plus international que Vice
Adam McKay, après donc s'être imposé dans la veine purement comique avec son ancien partenaire Will Ferrell, a opéré un virage radical avec The Big Short en 2015. Un casting prestigieux, un sujet brûlant - la crise financière de 2008 - une mise en scène qui joue pour ce film avec les manières du documentaire et qui s'épanouit dans des séquences de dialogues virtuoses. Mais le sujet, très technique, en a laissé plusieurs perplexes. Voir Christian Bale, Brad Pitt et Ryan Gosling parler de subprimes, short selling et autres mouvements boursiers était aussi séduisant que déstabilisant.
Avec Vice, le format du biopic pour raconter le parcours politique de Dick Cheney sous l'administration Bush, avec une performance remarquable de Christian Bale à la clé, est théoriquement plus rassembleur, mais réussit un peu moins bien que The Big Short, la faute sans doute à un sujet clivant aux États-Unis et lointain pour le reste du monde.
Avec Don't look up, Adam McKay transcende ces limites pour parfaire sa performance. Sur le sujet qui concerne par excellence le monde entier, ses individus comme ses sociétés, avec le choix d'une narration de comédie dramatique plutôt que celle du documentaire, le réalisateur fait mouche et réalise presque entièrement ses intentions. La critique est acerbe, l'humour prend plusieurs formes, le spectacle est total et permanent. Comme le cinéma d'Adam McKay a pour caractéristique d'être explicite, il apparaît de manière éclatante que Don't Look Up est ainsi son oeuvre "sérieuse" la plus maîtrisée.
Une formidable équipe à l'oeuvre
Comme pour ses précédents films, Adam McKay rassemble devant sa caméra le gratin hollywoodien. Il fait même encore plus fort en offrant un des rôles principaux à Leonardo DiCaprio, sans doute le plus grand acteur de sa génération mais a priori rétif à s'engager dans les comédies. Inquiet, avec un physique un peu pataud, stressé, il réussit parfaitement son rôle d'astrophysicien altruiste mais exposé aux sirènes de la notoriété. Ce n'est pas une surprise - a-t-il déjà raté une performance ? -, l'acteur fétiche de Martin Scorsese est tout à fait à l'aise dans ce genre et captive à chacune de ses apparitions.
Quant au reste du casting, aucune fausse note. Meryl Streep et Jonah Hill, duo de comédie hilarant qu'on veut absolument revoir, Timothée Chalamet et Jennifer Lawrence sur une partition plus tendre et mélancolique, des guests de haut niveau comme Cate Blanchett et Tyler Perry, tous livrent des performances auxquelles on serait bien embêtés de trouver quelque chose à redire. Mention toute spéciale à Mark Rylance en tech mogul aussi drôle qu'effrayant, complètement déconnecté et porteur d'une critique acerbe des Zuckerberg, Besos et Musk du monde réel.
À l'image du casting, les autres participants de Don't Look Up assurent. Nicholas Britell, compositeur de génie, par ailleurs actuellement sous les projecteurs avec Succession - une série produite par... Adam McKay - retrouve avec succès le réalisateur pour une troisième collaboration. À la photographie, Linus Sandgren, collaborateur proche de Damien Chazelle et surtout à l'oeuvre sur une autre super-production de l'année : Mourir peut attendre. Tous ces talents travaillent dans le même sens : offrir une farce à la puissance satirique démesurée.
Un cinéma décomplexé mais sans objectif ?
On rit beaucoup devant Don't Look Up, avant que ce rire devienne grinçant, puis presque atone. Un drame se joue et le spectateur entre dans un parallélisme avec les personnages. On a bien ri et on n'a pas voulu prendre le sujet au sérieux. Maintenant que le désastre est irréversible, peut-on encore rire ?
C'est la réussite du film : laisser le spectateur partir sur un rire devenu une question, et se demander si la caricature mise en oeuvre était si grossière que ça. Le cynisme des dirigeants, la superficialité des journalistes-stars, la collusion des pouvoirs publics et privés, l'inclination des anonymes à se laisser aller à la panique et aux réactions extrêmes... Tout ça, est-ce pure matière de cinéma ou morceaux de réalité ? Finalement, malgré la volonté d'effacer son goût pour le documentaire, Adam McKay nous laisse avec des images qui témoignent avec justesse de notre modernité et se frottent à la prophétie.
En ramenant dans ses ultimes plans la pure comédie, on constate néanmoins qu'il n'y a pas de morale à cette fable satirique qu'est Don't Look Up. Et qu'est-ce qu'une fable sans proposition d'amélioration, sinon une pure farce cynique ? Ce point laissé en suspens donnera du grain à moudre aux détracteurs du réalisateur, qui offre alors un magnifique objet à contempler mais qui, peut-être, ne propose rien pour contrer le vide qu'il dénonce.
Don't Look Up d'Adam McKay. Disponible sur Netflix le 24 décembre 2021. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.