CRITIQUE / AVIS FILM - Après "Premier contact" et "Blade Runner 2049", Denis Villeneuve atteint un nouveau sommet en signant un chef-d'oeuvre de science-fiction et un très grand film de cinéma. Si cette première partie laisse peu de place à l'émotion, elle excède largement ses promesses pour offrir un spectacle total.
Initialement programmé à l'automne 2020, Dune a pâti de la crise sanitaire et a connu un long report. Enfin présenté à la Mostra de Venise 2021, on comprend dès les premiers plans pourquoi Denis Villeneuve tenait tant à une sortie au cinéma, sur grand écran. Dune est en effet un film fait pour le plus grand écran possible, une production de cinéma le plus spectaculaire possible. Il faut par ailleurs préciser un point important. Ce film Dune est une première partie de l'adaptation du roman culte de Frank Herbert, et le projet a dès sa genèse été conçu comme un diptyque. Le grand écran des salles donc, pour le spectacle et pour les entrées qui devraient dégager une base de financement solide pour la suite. Avec une sortie simultanée au cinéma et sur HBO Max aux US, ce futur est compromis. Mais quoi qu'il advienne Denis Villeneuve peut avoir le sentiment du travail bien fait, très bien fait même, puisqu'il signe avec Dune son plus grand film et un monument de cinéma.
Dune : un spectacle total parfaitement maîtrisé
À voir Dune, on pourrait croire que Denis Villeneuve et Christopher Nolan ont pactisé pour offrir au public un cinéma qui repousse loin les limites du spectacle audiovisuel. À la manière de Tenet, Dune est en effet une démonstration experte et inédite des techniques de fabrication du cinéma. Pour mettre en images la planète Arrakis et celle de Caladan, Denis Villeneuve a vu très grand.
Pour les paysages (images tournés dans le désert jordanien et en Norvège) comme pour les intérieurs, la création de décors est tout simplement magnifique. La photographie est assurée par Greig Fraser, notamment à l'oeuvre sur Zero Dark Thirty et Rogue One : A Star Wars Story. Pour assurer les effets visuels et le production design, Villeneuve s'entoure de fidèles collaborateurs présents à ses côtés sur Premier Contact et Blade Runner 2049. Il y a donc du gigantisme, magnifié par un cadrage souvent à hauteur de personnage pour bien ressentir l'immensité des structures, et des teintes explorant des gammes sombres dans des jeux de lumières froides. Il y a aussi, évidemment, du mouvement, avec notamment des combats parfaitement chorégraphiés, des parcours aériens enlevés et des explosions à grande échelle.
Tous ces grands talents réunis proposent un spectacle total, d'une dimension épique, où chaque détail est minutieusement créé et positionné à l'image. Mieux encore, Dune a une esthétique mature, que ce soit dans l'architecture et l'allure de l'environnement de la Maison Atréides ou dans les vibrations du désert provoquées par les Vers de sable. La science-fiction de Dune n'a rien de familial, et elle rejette le genre de l'aventure pour embrasser plutôt celui du drame. La photographie de Fraser y est pour beaucoup, et une énième composition musicale magistrale de Hans Zimmer vient compléter cet attelage majestueux qui se prend - à raison - très au sérieux. Alors, avant de savoir si ce drame fonctionne sur le plan humain et psychologique, il apparaît que sur le plan physique et matériel celui-ci touche à la perfection.
Un monument dont l'ombre noie ses personnages
On mentionnait ci-dessus que Dune était une première partie. Pour le déroulé de son intrigue, cela implique que nous passons obligatoirement par une phase d'exposition, où les personnages sont présentés et conduits à l'intrigue. Celle-ci, logiquement, se déroule à peine dans cette première partie, et si le spectacle visuel de 2h35 ne souffre aucune longueur, le temps semble bien plus long en ce qui concerne les personnages. En effet, on peut avoir l'impression que très peu se passe concernant Paul (Timothée Chalamet), Leto (Oscar Isaac) et Dame Jessica (Rebecca Ferguson) et rien du tout pour Chani (Zendaya) et Stilgar (Javier Bardem), puisqu'on ne voit que très peu ces deux derniers, représentants du peuple autochtone d'Arrakis, les Fremen.
C'est le seul reproche qu'on peut faire à Dune, celui d'une absence d'empathie pour ces personnages, qu'on voit trop peu et véritablement évoluer dans les magnifiques environnements qu'ils traversent. On mentionnait aussi Tenet, c'est encore un point commun : dans ces spectacles techniques monumentaux - ajoutons pour Dune d'une beauté sans égale - les personnages ne finissent par exister que comme des insertions plastiques vivantes dans une plastique plus grande.À cet égard, Timothée Chalamet, Rebecca Ferguson, Zendaya forment un casting parfait tant la beauté de leurs yeux, de leurs traits, de leurs silhouettes, magnifiée par la photographie et les sublimes costumes, est éclatante.
Pour les personnages secondaires, Jason Momoa, Josh Brolin et Dave Bautista assurent une figuration améliorée exemplaire, mais leurs arcs narratifs respectifs sont d'une pauvreté qu'on pourra regretter. Aussi, des personnages importants du roman comme Leto Atréides et Vladimir Harkonnen (Stellan Skarsgard) apparaissent ici de manière secondaire, et les événements qui les concernent sont malheureusement relégués au second plan.
Dune : une première partie de grandeur sans décadence
Les personnages, et conséquemment leurs interprètes, semblent ainsi être les derniers invités à cette grande fête. Mais ils sont parfaits dans leur rôle et, surtout, ils se mettent ici au service du plus grand dessein, celui d'offrir un spectacle de cinéma total, une très grande histoire où il aura fallu tout faire : concevoir des machines volantes (formidables libellules), animer une petite technologie d'assassinat ainsi qu'une gigantesque - celle pour récolter la fameuse Épice de la planète Arrakis, première ressource de l'Empire galactique et cause des luttes de pouvoir entre Atréides et Harkonnens -, inventer des langues et des des vêtements, etc.
Il sera donc temps, comme le film l'explique à sa fin, de développer la rencontre entre Paul Atréides et Chani, d'en apprendre plus des Fremen et d'assister au plus près à l'affrontement qui vient contre la Maison Harkonnen dans le deuxième film Dune qui adaptera la seconde partie du roman. On pourra à ce moment s'interroger sur le récit de l'humanité que fait Dune, sur son regard sur la domination, l'impérialisme et la résistance, le progrès et l'écologie, etc. Denis Villeneuve ne pouvait tout faire ni tout mettre dans Dune malgré la durée conséquente de son film, il aura fait le choix d'exposer sa monumentale création de cinéma et de science-fiction. Alors que grâce lui soit rendue pour ce spectacle : un hommage bouleversant, jusqu'à l'écrasement, au 7ème art et à sa toute-puissance d'émerveillement.
Dune de Denis Villeneuve, en salle le 1er décembre 2021. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.