CRITIQUE / AVIS FILM – Après Roméo et Juliette, Satine ou encore Gatsby, Baz Luhrmann s’attaque à une nouvelle figure cinégénique, et pas des moindres : Elvis Presley. Un défi particulièrement compliqué à relever, mais fait pour le réalisateur.
Elvis : par où commencer ?
Comment raconter la vie du chanteur ayant battu tous les records ? Par où commencer ? En 1979, avec le téléfilm Le Roman d'Elvis, John Carpenter s’attaque au mastodonte par le biais de l’intimité du King, qui se remémore son passé à quelques minutes de son grand retour sur scène après plusieurs années d’absence.
Baz Luhrmann ne pouvait évidemment pas emprunter cette voie. Après une relecture moderne du monument romantique de William Shakespeare, une plongée musicale dans le Paris de la Belle Époque et une virée dans les années folles new-yorkaises, le réalisateur de Roméo + Juliette, Moulin Rouge ! et Gatsby le Magnifique se devait de rester fidèle à lui-même.
Et comme les amants de Vérone, Satine et l’excentrique millionnaire vivant reclus, Elvis Presley est une figure cinégénique qui méritait toute l’exubérance du metteur en scène. Mais elle n’est pas la seule. Le narrateur de ce spectacle rutilant n’est autre que son manager controversé, le colonel Tom Parker. Incarné par Tom Hanks, grimé et excellent dans un rôle de crapule qui détonne de toutes ses performances d'Américains bien tranquilles, l’énigmatique homme d’affaires annonce d’emblée qu’il n'est pas responsable de la chute de l’interprète de Don’t be cruel.
Libre au spectateur de se faire son avis sur la question avec les trois heures qui suivent (2h40 plus précisément). De son enfance dans le Mississippi et le Tennessee à ses spectacles à Las Vegas, en passant par son coup de foudre pour Priscilla (Olivia DeJonge), Elvis retrace tout le parcours de l’icône, se permettant de nombreuses ellipses. Ce qui n’empêche jamais de comprendre le poids d’une enfance marquée par la pauvreté, celui de la mort d’un frère décédé à la naissance et surtout la manière dont l’artiste était possédé par sa musique.
Viva Las Vegas !
Car au-delà de l’affrontement entre Elvis et le colonel Parker, c’est avant tout de musique dont il est question. Et Baz Luhrmann excelle dans ce domaine. Après l’une des introductions les plus énergiques et les plus folles vues au cinéma ces derniers temps, remplie de mouvements de grue et de plans aériens hallucinants où il prend soin de ne pas dévoiler le visage de sa star, le réalisateur multiplie les longues séquences entraînantes et grisantes.
Lors de la première apparition du rocker sur scène, la frénésie du montage, les réactions passionnées de l’audience et l’attitude d’Austin Butler donnent le sentiment d’être dans le public. Formidable, le comédien n’a aucun mal à retranscrire le sex-appeal ahurissant de son personnage et à provoquer quelques frissons.
Des frissons qui reviennent à de nombreuses reprises, comme par exemple lorsqu’il a l’impression de se fourvoyer et part se réfugier dans le quartier de son ami B.B. King où les morceaux de blues, de rock et même de hip-hop se succèdent. À l’instar de Gatsby le Magnifique, Elvis est une œuvre qui parvient à plonger dans une époque malgré son côté iconoclaste, voire même dans plusieurs décennies, évoquant d’ailleurs certains des événements importants des États-Unis. La désillusion provoquée par l’assassinat de Martin Luther King, puis celui de Bobby Kennedy, marquent par exemple profondément Elvis, qui perd peu à peu de sa flamboyance.
Des boursouflures qui freinent le rythme
Malheureusement, lorsqu’Elvis faiblit, le film le suit. Durant la dernière heure, les scènes centrées sur son affrontement avec le colonel sont répétitives. Baz Luhrmann les privilégie au détriment de la paranoïa de l’artiste, de ses addictions pour les pilules et le sexe ou encore de sa passion pour les armes, des sujets hélas expédiés.
Mais le cinéaste ne prétend pas vouloir dresser un portrait véridique de la star. Il assume complètement l’aspect hagiographique de son œuvre, faisant avant tout une déclaration d'amour à une figure hors norme, unique et gigantesque. Le long-métrage est d’ailleurs à l’image de son personnage. Même s’il se perd dans des longueurs après avoir mis la barre très haute dans sa première partie, Elvis est toujours rattrapé par des séquences colossales, comme celle où le rocker s’improvise chef d’orchestre pour ses musiciens à Las Vegas. Un passage qui résume à merveille son génie, auquel Baz Luhrmann rend un hommage imparfait mais monstrueux.
Elvis de Baz Luhrmann, en salles le 22 juin 2022. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces. Le film était présenté au Festival de Cannes 2022 hors compétition.