Ema : reggaeton, désirs et tragédie sublimés par Pablo Larrain

Ema : reggaeton, désirs et tragédie sublimés par Pablo Larrain

CRITIQUE / AVIS FILM - Après l'excellent "Jackie", Pablo Larrain revient à son Chili natal avec "Ema", qui lui permet de retrouver son acteur fétiche Gael García Bernal. Dans ce drame sensoriel, une mère interprétée par Mariana Di Girólamo regrette d'avoir rendu l'enfant qu'elle avait adopté.

Tragique abandon d'un orphelin

Une des particularités du cinéma de Pablo Larrain se trouve dans sa manière de représenter ses personnages. Devant sa caméra, les protagonistes n'apparaissent jamais totalement bons ou mauvais aux yeux du spectateur. C’était le cas avec les prêtres pécheurs d’El Club, dans le biopic atypique Neruda relatant la traque du poète communiste par le gouvernement chilien en 1946, ou encore avec Jackie qui suivait la première dame quelques heures après l’assassinat de son mari John Fitzgerald Kennedy. Avec ce film, le cinéaste chilien dévoilait un portrait sombre de Jackie Kennedy, marquée par le drame mais également par la perte du pouvoir qui en résultait. C’est ce qu’il y a de fascinant chez Pablo Larrain, son intérêt pour la part obscur de ses personnages, et qu'il poursuit avec Ema, son nouveau long-métrage qui cette fois s’éloigne des histoires vraies pour un récit fictif - tout de même inspiré d’une situation réelle.

Ema, est une danseuse mariée à un chorégraphe, Gastón (Gael García Bernal, qui retrouve le cinéaste après No et Neruda). Leur couple est au plus mal lorsqu’on les découvre. Est-ce un deuil ? Presque. Car ils viennent de rendre l'enfant qu'il avaient adopté, incapables de gérer ce jeune garçon aux tendances pyromanes. Dès lors, le petit Polo perd son nom, ses nouveaux parents, son histoire. C’est ce type de situation terrible pour un orphelin qui a inspiré Pablo Larrain pour son nouveau film. Le réalisateur fait alors le choix de se focaliser sur la culpabilité de la mère et les conséquences sur le couple pointé du doigt par le voisinage, et qui ne peut que se renvoyer la faute l’un sur l’autre. Une situation mise parfaitement en image dans une séquence où Ema lance froidement des mots terribles à Gastón qui, à son tour, fait de même en allant jusqu’à imiter l’enfant suppliant sa mère de ne pas l’abandonner. On s’attendrait à ce qu’une bagarre éclate, que chacun s’emporte violemment dans des cris et des pleurs. À la place, Ema l'interrompt pour lui dire qu’elle l’aime. Véritable contre-pied qui sera durant tout le long-métrage la direction prise par Pablo Larrain.

Critique / avis film Ema : reggaeton, désirs et tragédie selon Pablo Larrain

Ema, une beauté troublante

C’est là toute la subtilité de Pablo Larrain qui préfère laisser les protagonistes, et plus particulièrement Ema, s’exprimer ailleurs avec leur corps. Elle, c’est la danse qui lui permet d’extérioriser ses émotions. Et la mise en scène du cinéaste se révèle parfaitement adaptée pour suivre des chorégraphies issues du reggaeton, style musical considéré comme vulgaire et ignoble aux oreilles de Gastón, mais qui permet à Ema de se libérer. Même lorsqu’il ne s’agit pas de filmer la danse, Pablo Larrain se laisse guider par un rythme musical dans son montage, ses mouvements de caméra et ses choix de plans. Parfois à la limite du clip, on le sent plonger dans une obsession sensorielle qui aurait même pu être poussée encore plus loin. Le paroxysme est tout de même atteint lors d’une superbe séquence de sexe, impliquant Ema et différents protagonistes qui, comme dans un rêve, ne sont que des images qui passent les unes après les autres.

Critique / avis film Ema : reggaeton, désirs et tragédie selon Pablo Larrain

Ema a un objectif : avoir une famille. Découvrant les nouveaux parents adoptifs de Polo, elle décide de séduire le père et la mère et de les utiliser pour arriver à son but. Longtemps on ne saura que penser de cette femme. Touchante dans son mal-être évident, mais dont la perversité témoigne d'une démarche (auto)destructrice. Ema rentre ainsi dans la vie et l’intimité d’Anibal et Raquel - jusqu'à un dénouement surprenant. Pablo Larrain filme alors le désir sous toutes ses formes et rend facile la séduction de cette femme envoûtante interprétée à la perfection par Mariana Di Girólamo. La comédienne est une véritable révélation devant la caméra de Larrain. Pouvant tantôt dévorer le cadre dans son entier de par son charisme, et tantôt laisser paraître une fragilité déconcertante. Les plans quasiment face caméra (récurrents chez Larrain), vont d'ailleurs jusqu'à tirer d'elle une bestialité troublante. Probablement plus qu'ailleurs, Pablo Larrain parvient à bouleverser les sens dans Ema. Il provoque, décontenance (l'audience comme les protagonistes),  perturbe même, et enfonce toujours plus dans la complexité profonde d'êtres imparfaits.

 

Ema de Pablo Larrain, en salle le 2 septembre 2020. ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.

Conclusion

Note de la rédaction

Après un "Jackie" froid mais absolument fascinant, Pablo Larrain revient avec "Ema", un film électrique qui sous les rythmes de reggaeton plonge dans le désir tragique d'une mère qui culpabilise d'avoir rendu l'enfant qu'elle a adopté.

Note spectateur : Sois le premier