CRITIQUE FILM - Dans « En Liberté ! », nouvelle réalisation de Pierre Salvadori ("Hors de prix"), Adèle Haenel et Pio Marmaï forment un superbe duo de bras cassés aussi imprévisibles que touchants, qui emmènent le spectateur dans une succession de mensonges et provoquent malgré eux un hilarant désastre.
A la mort de son mari, Yvonne se rend compte qu'il n’était pas le flic héroïque qu’elle imaginait mais un ripou particulièrement roublard. En découvrant qu'avec l’une de ses combines, son défunt époux a envoyé un innocent bijoutier derrière les barreaux, la policière veut tout faire pour réparer la situation. Après huit années de prison, Antoine, le bijoutier en question, est libéré et tente de reprendre avec difficulté sa vie là où il avait été contraint de la laisser. Sa rencontre avec Yvonne va semer le trouble dans leurs existences respectives, ainsi que dans celles de leurs proches impuissants face au désastre qu’ils sont sur le point de provoquer.
Quatre ans après Dans la cour, Pierre Salvadori fait son retour au cinéma avec l’une des comédies les plus réussies que l’on ait vu cette année. En reprenant des thèmes déjà évoqués avec brio dans sa filmographie, le réalisateur des Apprentis et de Hors de prix met en scène des personnages plus gros que nature sur lesquels il pose, au même titre que le spectateur, un regard empli de tendresse.
Des mensonges aussi dévastateurs que touchants
Thèmes redondants déjà évoqués dans sa filmographie, notamment dans Cible émouvante ou Hors de prix, le mensonge, la manipulation et la culpabilité sont des ressorts comiques que Pierre Salvadori maîtrise totalement et qu’il ne cesse de renouveler. En Liberté ! débute sur le fait qu’Yvonne découvre que son mari n’était pas vraiment le flic digne du Belmondo des années 80 qu’elle décrit dans les histoires qu’elle raconte à son fils. Peu habitué des scènes d’action, le cinéaste reprend avec brio des codes éculés du genre grâce à ces récits embellis, et ce, dès la bluffante scène d’introduction qui annonce le rythme soutenu du long-métrage.
Utilisés pour rassurer, préserver et protéger, les mensonges sont ici sans cesse dédramatisés, étant donné qu’ils engendrent des conséquences grotesques ou totalement absurdes. Pourtant, jamais l’exagération ne provoque une distance du spectateur face aux personnages. Au contraire, l’empathie envers eux ne cesse de grandir, car Pierre Salvadori parvient à allier un côté loufoque à des sentiments exacerbés parfois désarmants.
Les monologues d’Yvonne et Antoine lorsque ce dernier envisage de se suicider et que la première tente de le sauver, et qu’ils se situent à quelques mètres l’un de l’autre sans pour autant s’entendre, provoquent par exemple un fou rire grâce à la spontanéité des comédiens, tout en révélant habilement les points communs de deux individus complètement paumés et profondément seuls.
En utilisant la gravité des situations pour provoquer le décalage, Pierre Salvadori emmène son spectateur sur le terrain de l’imaginaire, déjà brillamment utilisé à travers les histoires racontées au fils d’Yvonne. Le cinéaste rejette tout aspect vraisemblable dans son récit, qui serait d’ailleurs en contradiction avec la nature barrée des personnages, ce qui donne au film un sentiment d’enchantement entraînant et agréable. Cela se ressent dans les partis-pris visuels, à commencer lors d’une hilarante course-poursuite totalement inutile dans l’intrigue mais symbolisant à merveille l’envie d’action de l’héroïne, ou lors d’un braquage en tenue de démon sado-maso durant lequel Antoine, désorienté à cause de sa condamnation injuste, peut enfin rugir.
Le recours à l’imaginaire, rarement exploité avec un tel raffinement dans le genre en France, permet donc de libérer ces deux personnages que Pierre Salvadori semble beaucoup aimer, sans pour autant délaisser ses seconds rôles qui ne font qu’accentuer la dimension poétique du long-métrage.
L’attention prêtée aux petits gestes et aux détails
Yvonne et Antoine prennent beaucoup de place dans le récit d’En Liberté ! et les comédiens qui les incarnent - les excellents Adèle Haenel et Pio Marmaï - n’ont aucun mal à retranscrire leur besoin d’exploser et l’énergie désarmante dont font preuve ces deux grands sensibles. Pourtant, leurs parcours n’auraient jamais été aussi touchants si Pierre Salvadori n’avait pas accordé autant d’importance aux personnages qui les entourent et au cadre dans lequel ils évoluent.
Pour Yvonne, il s’agit notamment du commissariat où certains viennent et vont, à l’image d’un tueur qui multiplie les allers-retours avec les restes de sa tante disposés dans des sacs plastiques, ce qui crée une atmosphère de mouvement permanent qui renforce sa perte de repères. Par ailleurs, la présence de son fils est capitale pour signifier la vision d’un père et d’un mari idéalisé qui s’estompe progressivement. Enfin, le regard amoureux que lui porte son collègue interprété par Damien Bonnard mais qu’elle ne voit pas rend encore plus prégnante l’idée qu’elle ne peut s’empêcher d’aller vers Antoine, véritable aimant auquel le spectateur aimerait la voir se coller.
Pour autant, ce dernier est également profondément touché par Agnès, la compagne d’Antoine qui l’a attendu pendant ses huit années d’incarcération. Audrey Tautou lui confère une grâce parfois bouleversante, en particulier lors de la scène de retrouvailles durant laquelle elle lui demande de refaire son entrée dans leur maison pour en savourer chaque instant. Là encore, le choix d’une demeure extrêmement paisible et charmante n’est pas dû au hasard et contraste avec le grondement intérieur qui anime le faux coupable.
Tous ces éléments parfaitement travaillés créent des ruptures de ton maîtrisées au sein d’un récit imprévisible, qui se libère de toute cohérence pour offrir de jolis moments oniriques alors que la base de l’histoire n’était pas sans rappeler certaines intrigues hitchcockiennes marquées par un pragmatisme redoutable. Oscillant entre de purs moments de poésie lumineux et des situations hilarantes qui varient entre l’absurde et le rocambolesque, En Liberté ! est une comédie qui se calque à merveille sur les émotions de protagonistes joliment timbrés et aussi drôles qu’émouvants.
En Liberté ! de Pierre Salvadori, en salle le 31 octobre 2018. Ci-dessus la bande-annonce.