Énorme : une comédie absurde et brillante pour Marina Foïs et Jonathan Cohen

Énorme : une comédie absurde et brillante pour Marina Foïs et Jonathan Cohen

CRITIQUE / AVIS FILM - Sophie Letourneur livre avec "Énorme" un film unique, proposant une comédie grinçante et absurde sur une grossesse particulière. Elle y dirige Jonathan Cohen et Marina Foïs, comme on les a rarement vus.

Énormes les fous rires, énorme le malaise aussi. Ne nions pas la surprise qui surgit dès les premières minutes du film de Sophie Letourneur, un film très différent de ce que nous offre la comédie française d'habitude, et l'occasion de voir un acteur et une actrice rompus à l'art de la blague dans un registre inédit. Le pitch de Énorme est a priori assimilable par tous : Frédéric (Jonathan Cohen) et Claire (Marina Foïs) forment un couple heureux. Elle est une grande pianiste, et il est son agent, son manager, son amant et sa moitié. Lui désire un enfant pour s'accomplir entièrement. Il décide cependant de lui faire un enfant dans le dos. C'est un premier retournement de situation, puisqu'il est plus commun que ce soit la femme qui ait la capacité de déclencher clandestinement une grossesse. On devine facilement les ressorts comiques d'une telle situation, et ceux-là sont exploités dans le film : la manigance pour annuler la contraception féminine, la découverte effarée de la grossesse, etc.. Jusque-là, la comédie pourrait, ainsi, être tout à fait convenue. Seulement, ce renversement est bien plus que le lieu d'une bataille entre le désir de paternité et celui de maternité.

4/3, glissement documentaire et malaise

Comme elle l'a montré dans ses trois premiers longs-métrages, Sophie Letourneur ne fait rien comme les autres, prenant le contre-pied de la situation dès qu'elle le peut. Et Énorme semble en être le plus bel exemple. Filmé en 4/3, avec un cadre toujours très proche des visages d'abord, puis des corps, le film permet de profiter à plein des talents des deux acteurs principaux, tous deux excellents dans un registre globalement inédit pour eux (un peu moins pour Marina Foïs, plus expérimentée au drame). On rit donc de bon cœur devant les pitreries de Jonathan Cohen, d'autant plus que Marina Foïs, qui joue donc une pianiste de renom uniquement concentrée sur son art, est quasi mutique dans le premier mouvement du film. Jonathan Cohen joue pour deux, comme il est capable de le faire, toujours à la limite de la rupture, et c'est d'autant plus plaisant qu'on sent cette rupture venir.

Énorme

Pour évoquer cette grossesse unilatéralement désirée, son déroulement et son issue, l'image est en 4/3, quasi toujours dans des décors intérieurs, pour mieux illustrer l'enfermement. Une grossesse peut-elle être absurde ? Sophie Letourneur en fait le pari, refusant l'épiphanie ou le simple drame usuellement associés à l'événement. L'absurde prend définitivement le dessus quand la grossesse devient une réalité physique, avec un gonflement hallucinant du ventre, une perte de repères totale et un investissement maniaque et croissant de Frédéric dans la grossesse. Parce que Claire ne souhaite pas cet enfant, c'est Frédéric qui va aux ateliers d'accompagnement pré-natal, ayant lui aussi grossi pour accompagner la grossesse de Claire. Ce qui donne lieu à des séquences ubuesques, des malentendus et des dialogues hilarants. Mais en parallèle de l'érosion comique de Énorme grandit son malaise.

Tourné avec des acteurs non-professionnels en guise d'interlocuteurs du couple, le personnel hôtelier et le personnel hospitalier par exemple, on remarque assez vite que le film entre dans une dimension quasi-documentaire à mesure que le terme de la grossesse se rapproche. Malaise donc, faut-il rire quand les vrais médecins ne le font pas ? Qui joue, qui ne joue pas ? Ce glissement vers le style documentaire donne une profondeur au film d'où jaillit la grande qualité de comédiens de Jonathan Cohen et Marina Foïs. Le trublion qu'il incarne se fatigue, il semble plus que jamais être en sur-régime dans un monde qui lui échappe de plus en plus violemment. Son désir de paternité et sa manœuvre pour provoquer la grossesse sont l'illustration d'une immaturité qui devient impossible devant l'enjeu très réel de mettre bientôt un enfant au monde. Sans changer de registre, le film le fait pour lui, Jonathan Cohen en devient profondément touchant.

Un très beau film, mais blessé par son âpreté

Énorme est un film extrême et total. Extrême parce qu'il s'aventure dans des recoins obscurs de l'intimité, passant de la blague potache à la violence sèche des paroles du désamour. Total, parce qu'il s'autorise mille effets de cinéma : le comique, le tragique, le permis et le défendu, le joyeux et le triste, en laissant soin à son spectateur de composer lui-même la mélodie du film. Pour unir tous ces aspects, la photographie est froide et réaliste. Il fait de manière égale jour ou nuit, beau ou mauvais temps, et cela pourra rebuter certains spectateurs, dont les fans de Cohen et Foïs habitués à leurs délires plus légers. Énorme est un film exigeant et fulgurant. Il est aussi révélateur du malaise ainsi que des fausses conceptions associées à la grossesse et qu'on préfère souvent ignorer. Son éclat en ravira certains, quand il détournera le regard d'autres.

 

Énorme de Sophie Letourneur, en salle le 2 septembre 2020. La bande-annonce ci-dessous. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.

Conclusion

Note de la rédaction

"Énorme", nouveau film de Sophie Letourneur, est une expérience cinématographique de grande qualité. Comédie grinçante qui dérive dans l'absurde, ses deux comédiens et sa fausse dimension documentaire font merveille. Un film réussi, souvent brillant, mais qui pourra en laisser plus d'un perplexe.

Note spectateur : 3 (2 notes)