CRITIQUE / AVIS FILM - "Été 85", le nouveau film de François Ozon, nous transporte au plus près d'une belle histoire d'amour au milieu des années 80. Un chef-d'oeuvre de cinéma, dont la maîtrise est époustouflante.
Souviens-toi l'été 85
L'année dernière, François Ozon présentait Grâce à Dieu. Un très grand film aux multiples définitions, une chronique judiciaire et intime d'une acuité et d'une profondeur inouïes, avec des comédiens exécutant leurs partitions à merveille. Un film très dur aussi, révélateur avec éclats des turpitudes criminelles de l'Église catholique. Changement de décor et d'ambiance pour son nouveau film Été 85, mais qui peut se comparer en deux points à son prédécesseur : il y a aussi un récit "procédural" et, surtout, c'est encore un très grand film.
Nous sommes donc à l'été 1985, dans une station balnéaire du nord de la Normandie que François Ozon a composée avec la ville du Tréport, celle d'Eu et d'Yport. Là, Alex, 16 ans et l'esprit tourmenté par son adolescence et par un avenir à décider, rencontre David. De deux ans son aîné, il est libre, fonceur, charmeur, la définition même de celui qui croque la vie à pleines et jeunes dents. Vite amis, vite collègues aussi, au magasin de nautisme que David gère avec sa mère, ils vont devenir amants le temps d'un court été, fulgurant et dramatique. Amis et amants, ils se font une promesse enfantine, où se mélangent l'amour et la mort, une promesse qu'Alex honorera à tout prix.
Comme il l'a montré à maintes reprises dans sa filmographie, François Ozon est un maître de la mise en scène, de la composition et de la reconstitution. Le film est un récit fait par Alex, qui doit expliquer auprès de la justice et de ses aînés sa part prise dans une suite d'événements dramatiques. Alex reconstitue son été 85, et François Ozon se fait le metteur en scène de cette reconstitution. Tout est à ce titre parfait : les chambres d'adolescents aux murs couverts de posters de Freddie Mercury et Taxi Girl, les vêtements, les véhicules, la fête foraine, la plage, etc... Avec rapidement une séquence d'aventure, une sortie solitaire en voile légère qui tourne mal, quelques plans et minutes suffisent à comprendre que la reconstitution de l'époque - tournée sur pellicule pour encore mieux voyager dans le temps -, est un modèle du genre. L'immersion dans le souvenir, dans la tête d'Alex, dans sa peau d'adolescent sensible et intelligent, mais trop innocent, est totale.
Été 85 : le très grand cinéma
Coupons court à la comparaison qui s'impose, Été 85 réussit tout ce qu'a raté Call Me by Your Name, et trace une ligne entre le grand cinéma, l'art, et la posture d'esthète, l'imposture artistique. Le film de Luca Guadagnino est indéniablement beau, produit avec soin et interprété de même, mais il est d'un vide abyssal quant à sa proposition dramatique et l'authenticité de sa démarche, pour finalement n'être qu'une très jolie publicité pour la Toscane bourgeoise et Timothée Chalamet. François Ozon, qui adapte ici à sa manière le livre d'Aidan Chambers, raconte lui une véritable histoire d'amour adolescente, avec ses élans de vie incroyables et ses vrais sentiments, les complexes : l'amitié et l'amour, la jalousie et l'angoisse, la fascination pour la vitesse et la mort. Rien n'est prétexte à, mais tout est une réalité qui s'organise autour d'un fait divers douloureux. Il y a du drame, de l'aventure, de la romance, de l'apprentissage - avec le génial Melvil Poupaud en professeur de lettres, trimbalant le fantôme rassurant de sa jeunesse qui suggère qu'il a lui aussi été, avant, un Alex -, faisant de ce film un drame parfait, une grande tragédie heureuse.
Été 85 est un film qui parle de cinéma, avec notamment une référence merveilleuse à La Boum de Claude Pinoteau, mais une référence que se font les personnages, pas un clin d’œil ironique du réalisateur à son public. Cette forme de référence est remarquable parce qu'elle n'est pas la soumission du récit à une private joke entre le réalisateur et les spectateurs, mais une référence proposée à la représentation que le spectateur se fait de lui-même dans cette histoire. Cette référence est exemplaire de la manière dont François Ozon veut transmettre sa création, en annulant la distance induite naturellement par le médium "cinéma". Il veut la transmettre sur le ton d'une confidence intime, avec la frontalité et la difficulté de la confidence à se faire discours. Quand Alex lutte pour raconter son histoire de manière juste, totale et définitive, François Ozon tente la même chose avec son film, cherchant lui aussi à faire de son film un cinéma juste, total et définitif, un discours parfait. Et il y parvient.
Casting brillant pour portraits de jeunes garçons en feu
On ne peut pas oublier le formidable casting d'Été 85, avec un duo d'acteurs principaux exceptionnels, Benjamin Voisin et Félix Lefebvre, et des personnages secondaires très importants interprétés avec brio. Isabelle Nanty et Valeria Bruni-Tedeschi, deux mères aimantes et très différentes, introvertie pour la première et extravertie pour la seconde, sont parfaites pour apporter le déterminisme social qui sert intelligemment et élégamment le récit, et la définition par un large spectre du monde adulte, tout en appliquant une belle émotion selon leur caractère respectif. Melvil Poupaud, fidèle collaborateur du réalisateur, est tout aussi brillant.
Il ne leur faut que quelques plans à chacune et chacun pour peindre le monde présent et futur d'Alex, participant à donner une infinie richesse à ce film à la durée relativement courte (1h40). Philippine Velge joue elle avec grâce un rôle essentiel dans la conduite du drame, un rôle qui se compose à la fois de l'innocence d'Alex et de l'insouciance de David, et donc un personnage brillamment tempéré dont les mots sont finalement très précieux et rassurants.
Été 85, le plus beau film d'Ozon ?
La musique, enfin, avec un double choix qui illustre parfaitement le film et son propos : In Between Days de The Cure et Sailing de Rod Stewart. Deux chansons d'amour sur la rupture, le temps et la distance, sur le fait d'être proche et de ne plus l'être... Ces morceaux rythment le film, alternant entre l'intradiégiétique et l'extradiégétique pour mieux confondre les temps des deux récits, celui de François Ozon et celui d'Alex.
Été 85 est un souvenir émouvant, avec une mélancolie à la beauté rare, des cheveux dans le vent, des étreintes maladroites et insouciantes, des rires et des larmes, un de ces souvenirs de jeunesse dont on a longtemps honte avant de réaliser qu'ils sont le sel de la vie et les fondements des identités et des destins, avec leurs bonheurs, leurs malheurs et leur résilience. "Tout ira bien", c'est ce que nous murmure Été 85 avec une invincible douceur et la fermeté de ceux qui ont raison. Nommé cinq fois au César du meilleur film et au César du meilleur réalisateur, François Ozon et son équipe devraient, comme ce fut le cas concernant Grâce à Dieu et plusieurs de ses précédents films, être nommés et distingués abondamment avec Été 85. Ce ne serait que justice pour celui qui, avec Jacques Audiard, est vraisemblablement le plus grand cinéaste français contemporain.
Été 85 de François Ozon, en salle le 14 juillet 2020. Ci-dessus la bande-annonce ci-dessus. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.