CRITIQUE / AVIS FILM - Après plusieurs décennies, Michael Mann livre enfin son film sur Enzo Ferrari. Disponible en France sur Prime Video, le long-métrage aborde une période courte mais charnière dans la vie du fondateur de la Scuderia.
Ferrari : la mort omniprésente le temps d'un été
Il y a toujours eu chez Michael Mann une absence d'héroïsme dans la mort. Quel héroïsme y aurait-il justement à mourir au volant d'une voiture de course lors de simples essais, en vue de battre un record de temps ? Le tout sous le regard noir d'Enzo Ferrari qui, aussitôt après la tragédie, se tourne vers le remplaçant de son pilote pour lui signifier qu'il peut rejoindre son écurie. Plus tard, après avoir perdu une course, le patron ne fera pas non plus dans la dentelle auprès de ses coureurs. Ne voulant pas des gentlemen, mais des hommes, ou plutôt des machines, capables de faire abstraction de la peur et qui ne freineront pas si la victoire est en jeu.
Voilà qui donne une première idée du personnage qu'était Enzo. Du moins, c'est le portrait qu'en fait Michael Mann avec Ferrari, drame qu'on qualifierait vaguement de biopic, porté par un Adam Driver impérial, et que le cinéaste a en tête depuis la publication du roman Enzo Ferrari – The Man and the Machine (1991) de Brock Yates. Vaguement, car la période qui intéresse le cinéaste est loin de couvrir toute la vie de l'ancien coureur à l'origine de la plus célèbre écurie de Formule 1. Tout juste un été. Celui de 1957, alors que la société Ferrari est en pleine crise. L'usine risque de mettre la clé sous la porte. Le seul moyen pour rebondir est de vendre des voitures. Et pour cela, il faudrait un miracle. Une victoire aux Mille Miglia, une des plus célèbres courses d'endurance.
Mais avant d'en arriver là, Enzo va tenter de trouver des liquidités auprès de sa femme, Laura. Car c'est ensemble qu'ils ont créé la compagnie. Sauf que depuis la perte de leur fils, Dino, le couple est encore plus fragile que la Scuderia. Ainsi, s'il côtoie la mort dans son milieu professionnel (les morts se compteront par dizaines après une scène terrifiante, comme un rappel de la Seconde Guerre mondiale), Enzo ne s'en éloigne pas non plus dans sa vie privée, puisque c'est en s'adressant à son fils, dans la chapelle funéraire, qu'il obtient de rares moments d'apaisement.
Le portrait complexe de l'homme
Inutile de rappeler que Michael Mann est connu pour son plan-signature d'un homme face à l'horizon. Souvent devant une étendue d'eau - ou devant le tarmac dans Hacker. Dans Ferrari, un œil aguerri ne manquera pas ce moment, dans la lignée d'Hacker justement. Mais ici, les véritables moments d'introspection, Enzo les a avec son fils défunt. Car tout découle de cette tragédie dont l'homme a tenté de se relever.
Pour cela, il a rencontré Lina Lardi (Shailene Woodley), sa maîtresse. Avec elle, il a eu la possibilité de construire une nouvelle vie, d'avoir une nouvelle famille, et un autre enfant, Piero. Mais avec Laura toujours dans le tableau, la seule à ignorer la vérité, impossible pour le patron de Ferrari de tout combiner. Comme tant d'autres personnages mannien avant lui, Enzo tente pourtant de compartimenter chaque élément de sa vie. Mais tous ces éléments vont inévitablement entrer en collision, et Michael Mann l'annonce tout du long par des métaphores de course automobile.
S'il reste fidèle à son cinéma et à ses obsessions, Michael Mann surprend donc par ces variations, cette évolution de son cinéma. C'est à ce niveau que Ferrari est le plus intéressant. Nul doute qu'un public non averti y verra un film bancal, construit et rythmé étrangement, et n'en retiendra, au mieux, que les séquences de courses superbement mises en scène. Pour les connaisseurs du cinéma de Michael Mann, ces variations amènent à aller plus loin, à privilégier peut-être l'analyse au simple ressenti.
Un Michael Mann surprenant
Que ce soit dans le style visuel ou dans le décor global de Ferrari, Michael Mann surprend. Après avoir filmé Hong Kong pour Hacker, et Tokyo pour Tokyo Vice, le réalisateur continue de naviguer hors de ses frontières. Cette fois, il pose sa caméra en Italie, à Modène, lieu aux antipodes des mégalopoles que le cinéaste a si souvent mises en valeur. De plus, le choix de représenter Enzo Ferrari loin de sa gloire n'est pas anodin de la part du cinéaste. Car le patron de l'écurie, bien que déjà très respecté, n'est en réalité jamais dans la maîtrise.
Il fallait du temps dans Collateral pour voir le tueur Vincent dérailler. Cela, dès lors que malgré tout son professionnalisme, il ne faisait plus totalement abstraction de ses émotions. Chez Enzo, durant cet été 1957, le chaos est déjà ambiant. De même que dans Le Solitaire, Heat et bien d'autres, le cinéaste mettait l'accent sur l'excellence de ses protagonistes dans leur domaine. Ici, le "héros" est bien le seul à penser qu'il contrôle quoi que ce soit, et il ne dégage pas la perfection à laquelle il aspire.
Il y a les starlettes aux bras des pilotes, qu'il ne veut pas voir proche des voitures pour éviter qu'elles fassent de l'ombre à la marque Ferrari. Et pourtant, impossible de les éloigner complètement... Il y a son enfant illégitime dont personne ne devrait connaître l'existence. Sauf que tout Modène est déjà au courant... Et il y a sa compagnie qu'il tente de diriger d'une main de fer. Mais il reste dépendant de Laura qui détient l'argent.
Cette dernière est d'ailleurs un personnage plus important qu'il n'y paraît. Éminemment tragique, Laura (excellente Penélope Cruz) est déterminante dans l'avenir de Ferrari. Et dans ce qui ressort du portrait complexe d'Enzo. Michael Mann n'est pas ici pour mettre en valeur la légende, mais pour montrer l'homme, avec ses défauts et ses contradictions. Tantôt touchant, tantôt effrayant, il est à la croisée de chemins personnels et professionnels. C'est d'ailleurs dans le dernier acte du film, au moment où Enzo doit répondre au choix que lui laisse Laura, que Ferrari prend tout son sens et touche véritablement. Enfin !
Ferrari de Michael Mann, disponible sur Prime Video le 8 mars 2024. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.