CRITIQUE FILM – Après la ressortie d’« Halloween, La nuit des masques », c’est au tour de « Fog » du grand John Carpenter de faire son retour dans les salles obscures. Dans ce long-métrage, ce n’est pas un grand homme masqué qui fait des dégâts mais le brouillard, redoutable ennemi auquel les habitants d’une petite ville côtière ne peuvent échapper, et que le réalisateur répand avec une efficacité toujours aussi impressionnante.
Tourné après les téléfilms Le Roman d’Elvis et Meurtre au 43ème étage, Fog marque le retour de John Carpenter dans les salles obscures en 1980, moins de deux ans après la sortie de Halloween, La nuit des masques. Avec ce long-métrage, le Maître de l’horreur clame pour la première fois haut et fort son amour pour les écrits d’Edgar Allan Poe et Howard Phillips Lovecraft, plusieurs années avant Prince des Ténèbres (1987) et L’Antre de la Folie (1995).
Le long-métrage s’ouvre d’ailleurs sur le tic-tac d’une montre à gousset d’un vieux de loup de mer qui s’apprête à raconter une histoire à des enfants au coin du feu. L’heure se rapproche de minuit et le petit groupe écoute le récit funeste de l’équipage de l’Elizabeth Dane, décimé cent ans plus tôt à cause d’un brouillard meurtrier aux abords de la ville d’Antonio Bay. Alors que la paisible commune s’apprête à fêter son centenaire, la brume fait son retour dans la ville, emportant de nouvelles victimes avec elle…
Affaires de famille
On ne change pas une équipe qui gagne ! Et en 1980, John Carpenter l’avait parfaitement compris. Pour Fog, le cinéaste travaille de nouveau avec Debra Hill, son ex-femme avec laquelle il avait co-écrit Halloween. Comme pour ce précédent long-métrage, le duo concocte un script épuré qui va à l’essentiel. Après la mise en contexte particulièrement rapide qui nous plonge immédiatement dans l’atmosphère d’une légende urbaine inquiétante, la météo se dégrade au large d’Antonio Bay, comme l’annonce l’animatrice radio de la station locale interprétée par Adrienne Barbeau, à l’époque compagne de Big John avec lequel elle collabore pour la deuxième fois après Meurtre au 43ème étage.
Très rapidement, le brouillard se répand et les premiers meurtres arrivent. Particulièrement brutaux, ces derniers convoquent habilement l’imagerie des pirates et des fantômes, bien des années avant que Johnny Depp vienne s’en mêler. Au cours de ces séquences, le pouvoir de suggestion de Carpenter s’allie une nouvelle fois à une partition oppressante et parfois stridente composée par ses soins, comme c’était le cas pour Halloween.
En parallèle de ces morts qui surviennent en mer, d’étranges phénomènes se produisent dans la ville d’Antonio Bay. Les fenêtres explosent et ce brouillard pas comme les autres se met à scintiller au loin. Plusieurs personnages comprennent rapidement que quelque chose ne tourne pas rond et se mettent à mener leur enquête chacun de leur côté. Parmi eux se trouve notamment une voyageuse incarnée par Jamie Lee Curtis, impliquée malgré elle dans les sombres événements d’une commune aux nombreux secrets. Dans le film, John Carpenter retrouve également d’autres de ses comédiens fétiches comme Nancy Loomis, Tom Atkins et Charles Cyphers.
Il fait par ailleurs appel à Janet Leigh, la mère de Jamie Lee Curtis. Face à Michael Myers, cette dernière échappait au triste sort qu’avait réservé Alfred Hitchcock à Leigh dans Psychose, auquel Halloween rendait hommage. Avec Fog, Big John continue de marcher sur les traces du Maître du suspense en plantant sa caméra à Bodega Bay, où Les Oiseaux avait été tourné. Comme dans ce dernier, les protagonistes complémentaires, dont les personnalités sont brillamment développées en quelques répliques, n’ont d’autre choix que de s’allier pour contrer un mal inexplicable.
Néanmoins, contrairement au long-métrage d’Hitchcock, le rythme est beaucoup plus enlevé et cette efficacité est l’une des marques de l’identité de Carpenter en tant que cinéaste. Si Fog n’est pas son film le plus abouti, il témoigne quoi qu’il en soit de sa volonté de travailler avec ses proches avec un budget limité – ici 1 million de dollars – pour rendre hommage à ses inspirations tout en ouvrant le sillon d’un pan moderne du cinéma d’horreur.
Ne jamais tourner le dos à un mort
Parmi les autres fidèles compères de John Carpenter, on retrouve notamment le roi du maquillage Rob Bottin dans la peau d’un fantôme, Tommy Lee Wallace au poste de chef décorateur et surtout Dean Cundey à la photographie, qui remet lui aussi le couvert après Halloween. Si certains plans ont subi le poids des années, le spectateur reste soufflé par l’utilisation du CinemaScope, qui permet de retranscrire à merveille la manière dont l’ombre envahit la paisible Antonio Bay.
L’équipage de l’Elizabeth Dane n’a d’ailleurs pas spécialement besoin d’apparaître pour que le spectateur soit accroché à son fauteuil. En témoigne une poursuite nocturne dans les rues vides de la ville, où deux voitures tentent d’échapper à l’arrivée inéluctable du brouillard, qui n’est pas sans rappeler celle du démon dans Rendez-vous avec la peur de Jacques Tourneur.
Dans la première partie de l’œuvre, John Carpenter utilise bon nombre de jump-scares particulièrement efficaces pour faire surgir les fantômes du brouillard, qui s’en prennent à leurs victimes dès qu’elles ont le malheur d’avoir le dos tourné. Si cette technique est davantage utilisée que dans la plupart des films de Big John, à commencer par The Thing, jamais elle ne fait l’effet d’un pétard mouillé, étant donné que la mise en scène du cinéaste ne se résume jamais à ces procédés. Que ce soit en filmant l’intérieur d’une voiture en panne et encerclée par la brume, un mort se redressant lentement à l’hôpital ou un simple poste de radio en feu, le réalisateur ne cesse de jouer avec son cadre, les objets qui s’y trouvent et les situations pour provoquer la tension et la peur.
Carpenter parvient même à éveiller l’empathie pour des fantômes victimes d’une communauté qui n’a pas hésité à construire sa ville dans le sang. La vengeance prend donc rapidement le pas sur la simple malédiction, ce qui donne une véritable consistance à un récit pourtant épuré. Si Fog est loin d’être l’œuvre la plus politique dans son auteur, elle n’en demeure pas moins passionnante dans sa façon de démystifier une ville américaine idyllique au passé douloureux. En seulement 86 minutes, le cinéaste parvient donc à traiter l’histoire d’une commune par le prisme du conte se transformant peu à peu en récit cauchemardesque, ce qui en fait un film idéal pour la période d’Halloween.
Fog de John Carpenter est au cinéma le mercredi 31 octobre 2018. Ci-dessus la bande-annonce.