CRITIQUE FILM - "Football Infini", un documentaire roumain de Corneliu Porumboiu qui suit un personnage à première vue excentrique, mais qui dissimule un message bien plus profond.
Le documentaire de Corneliu Porumboiu, Football Infini, interroge un fonctionnaire roumain qui aimerait révolutionner les règles du football. Derrière ce postulat, a priori, extravagant, un autre thème apparaît qui prête à réflexion.
Dans la petite ville de Vaslui en Roumanie, Laurentiu Ginghina travaille en préfecture en tant que haut fonctionnaire. En dehors de son activité professionnelle, il invente les règles d’un nouveau football, visant à augmenter la vitesse du jeu et à réduire considérablement les fautes. Il propose et explique ses nouveaux préceptes, mais au fur et à mesure des interviews où viennent se greffer son parcours avec l’avènement de l’Europe, le spectateur comprend que le football n’est qu’un rideau derrière lequel se dissimule une volonté de liberté et une envie de voir l’Europe mieux fonctionner.
Un postulat excentrique
Dès le début de Football Infini, Laurentiu Ginghina explique sa théorie et les nouvelles règles qu’il propose pour inventer un autre football. Dès lors, le spectateur peut aisément se dire qu’il a à faire à un illuminé ou à un idéaliste. Mais dès que Laurentiu met en place sa démonstration dans une salle de sport avec des footballeurs, la théorie ne s’avère pas si farfelue, l’un des éducateurs lui confiant que des exercices d’entraînement existent sur le même principe.
L’une des obsessions de Laurentiu est de supprimer le hors-jeu, et très rapidement les spécialistes du football lui confient que ses nouvelles règles n’ont aucune chance d’être accueillies par la FIFA. Le spectateur peut imaginer avec un certain amusement ce personnage proposer ses évolutions aux hautes sphères des instances du football européen. Il se dit facilement qu’il sera perçu comme un idéaliste et que ses théories n’ont aucune perspective de voir le jour. Les adaptations du concept de Laurentiu glissent petit à petit vers le manque de cohérence.
Un autre propos s’invite sans prévenir
Lors d’une interview du début du film à la préfecture où travail Laurentiu, une dame vient faire une réclamation et oblige le fonctionnaire à résoudre son problème. À l’image, Laurentiu Ginghina peine à dissimuler sa gêne. Et pour compte, ce problème en dit long sur les incohérences du système roumain. À partir de là, le représentant de l’état se confit sur son pays, sur la lenteur du système et sur son parcours qui l’a mené là. Le spectateur saisi immédiatement qui se cache derrière : l’Europe. Dès lors, le propos et le regard d’un Roumain prennent tout leur sens. Laurentiu dévoile les espérances d’un peuple qui est plus discret, mais pour qui l’Europe est, comme pour lui, une opportunité un peu providentielle et génère ainsi une très grande attente.
Un regard différent : la grande force du film
Le propos n’est pas si explicite, mais il est là, et c’est toute la réussite du réalisateur. À travers des séquences qui paraissent anodines, le propos fait sens. Ainsi, lors d’une scène, Laurentiu présente son père et évoque la famille. Sur une photo, il désigne un personnage qui l’interroge, celui dans le fond, celui que personne ne remarque. L’image renvoie irrémédiablement à celle d’un petit pays au sein de l’Europe et qui est derrière les premiers rôles. Dès lors, l’attention et la crédibilité données à Laurentiu changent du tout au tout. Ses propos deviennent témoignages et le spectateur saisit le regard d’un citoyen européen qu’il n’entend pas forcément tous les jours. Plus le film avance et plus ce personnage et son intérêt sur cette Europe se révèlent fascinants.
Ce qui, à l’origine, apparaissait dans Football Infini plutôt farfelu, se dévoile comme une vérité forte et ainsi amène le spectateur à une vraie réflexion. En cela, Football Infini se révèle être une belle réussite tant sur la forme que sur le fond. À l’écoute de cet homme, le public peut se poser de véritables questions, avec un autre recul, une distance qui n’est pas si évidente. Le documentaire prend tout son sens, et l’approche s’avère totalement judicieuse. Le football n’est-il pas en fin de compte le miroir de la société ?
Football Infini de Corneliu Porumboiu, en salle le 6 juin 2018. Ci-dessus la bande-annonce.