CRITIQUE FILM- Le réalisateur Roland Joffé s’est rendu célèbre avec "La Déchirure", "Mission" ou "La Cité de la Joie". Autant dire que son retour avec "Forgiven", dans lequel Forest Whitaker incarne Desmond Tutu, était attendu. Il déçoit néanmoins en dépit d'une envie de bien faire.
On doit bien reconnaître que Forgiven possède d'indéniables vertus pédagogiques. Car il est toujours intéressant de connaître le fonctionnement de la Commission Vérité et Réconciliation, mise en place par Nelson Mandela à la fin de l’Apartheid en Afrique du Sud en 1994. Forgiven donne donc à voir le travail d'Desmond Tutu, nommé à la tête de cette commission, dont le but principal était d’accorder une chance de pardon et d’amnistie pour ceux qui avouaient leurs crimes. Le contexte de cette violente discrimination raciale, qui a vu de nombreux crimes être commis, est d'ailleurs bien resitué.
Le réalisateur Roland Joffé a pris le parti de montrer les relations humaines tendues post apartheid. Il se focalise donc sur deux rencontres faites par l’Archevêque anglican, qui vont se retrouver liées de façon un peu trop téléphonée. Il est ainsi d’abord sollicité par la mère d’une jeune fille qui a disparu avec son petit ami. Et il est en même temps sommé par Piet Blomfeld (Eric Bana), un assassin condamné à perpétuité, de venir le voir dans la prison de Pollsmoor.
Le scénario, co-écrit par le réalisateur avec Michael Ashton, est inspiré de la pièce de théâtre de ce dernier et tiré de faits réels, mélangés à d’autres entièrement fictifs. On saisit bien que le but du réalisateur consiste à filmer la démonstration, un peu trop facile, d’une rédemption. On la voit venir de très loin, un peu comme le nez au milieu de la figure de Forest Whitaker. Roland Joffé a en effet décidé d’affubler l’acteur d’un improbable faux nez pour tenter de le faire ressembler à Desmond Tutu. Tellement ridicule et inapproprié qu’il faut un certain temps d’adaptation avant de réellement se plonger dans Forgiven.
D'ailleurs, le jeu de Forest Whitaker est hélas sans relief. L'acteur semblant comme écrasé par le fait que l’archevêque encore vivant puisse lui reprocher de ne pas être assez à son image. C'est souvent le risque des biopics. Évidemment dépeint comme un homme de foi, son personnage se veut compréhensif et souriant. Ouvert au dialogue, il éprouve le besoin impérieux de comprendre la raison des actes commis par les meurtriers. On le voit bien exprimer quelques doutes et colères à son épouse ou aux autres membres de la Commission, mais les thèmes de sa foi mise à l'épreuve et de sa confiance en l'être humain auraient mérité d'être un peu plus creusés. Ce n’est d'ailleurs pas le personnage de Desmond Tutu qui est intéressant, mais bien celui de Blomfeld, brillamment interprété par Eric Bana. Présenté comme un sale type - évidemment, puisque condamné pour ses crimes racistes -, il fanfaronne et rabaisse sans cesse Desmond Tutu, le traite mal quand celui-ci accepte de venir vers lui, malgré les réserves de son entourage à la Commission. La rencontre entre les deux hommes, un peu électrique au départ, va évidemment évoluer vers une forme de respect mutuel.
Une bonne contextualisation ne suffit pas face à une volonté de trop bien faire
Mais il n’en demeure pas moins que le procédé apparaît plutôt malhonnête. Quel spectateur, qui se remémore les faits, a vraiment envie de croire qu’un tel homme, grâce à l’amour et à la foi de Desmond Tutu, va prendre conscience de son erreur et trouver aussi facilement le chemin de la rédemption ? Et surtout, quel besoin de vouloir à tout prix trouver des excuses à ses actes violents dans sa prime enfance et donc de tenter de le rendre attachant, quitte à le dédouaner ? Comme si un homme qui a souffert était plus à même de vouloir et pouvoir se racheter. Il eut été bien plus courageux et réaliste de ne pas éprouver le besoin de le faire passer de bourreau raciste à un homme redevenu bon, allant jusqu'à le montrer prendre sous son aile un jeune prisonnier noir, sous prétexte qu’il subit la violence d’un gang de ses pairs.
Le réalisateur donne à voir deux autres genres de racistes violents dans Forgiven, hautement plus crédibles que celui de Blomfeld. Ceux qui sont des abrutis finis, dotés d'aucun raisonnement et qui ne changent jamais. Et ceux qui, sans avoir l’alibi de leur histoire personnelle, se repentent enfin. Ainsi, Hansi (Morne Visser), dont le témoignage lors d’une séance de la Commission face à une famille meurtrie ne parvient pourtant pas à arracher une seule larme au spectateur. Plombé par une scénographie à l’américaine too much et ses nombreux défauts, Forgiven ne fait pas assez honneur à son sujet et reste à la surface des valeurs qu’il prétendait défendre : la tolérance, le pardon et le repentir.
Forgiven de Roland Joffé, en salle le 9 janvier 2019. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.