CRITIQUE / AVIS FILM – "Frères" d'Olivier Casas dresse le portrait incroyable de deux petits garçons livrés à eux-mêmes dans l’après-guerre. Avec Yvan Attal et Mathieu Kassovitz.
Frères : un partage de solitude et de traumatismes
Il n’est pas si fréquent de voir aborder au cinéma le lien inébranlable qui relie deux frères. Surtout par le biais du souvenir aussi traumatisant que l’abandon d’une mère et les années de survie qui ont suivi. L’histoire de Frères est inspirée de l’histoire vraie incroyable, longtemps restée secrète, de Michel de Robert et de son frère Patrice. L’histoire d'enfants perdus parmi des milliers déclarés sans foyer après la Seconde Guerre mondiale, auxquels le film est d‘ailleurs dédié. Et c’est Olivier Casas qui s’en empare avec brio, bien loin de son premier long-métrage, la comédie Baby Phone (2017).
Le réalisateur a fait le choix judicieux d’une mise en scène non linéaire mais plutôt organique. Les liens entre présent et passé s’entremêlent avec beaucoup de naturel par le biais des sens que les deux petits garçons ont développés. Ainsi, lorsque Michel du présent (Yvan Attal) écoute la nature, il se remémore la manière dont le "Mic" de 4 ans (Victor Escoudé-Oury) écoutait les bruits de la forêt dans laquelle il s’était réfugié avec "Pat" (Enzo Bonnet), 5 ans.
Lorsque Patrice du présent (Mathieu Kassovitz) marche dans la forêt enneigée du Québec, c’est au "Pat" de 12 ans (Fernand Texier) qu’il pense alors qu’il bravait le froid glacial pour ramener à manger au "Mic" de 11 ans (Viggo Ferreira-Redier). Car les deux petits ont connu la faim, le froid et la peur pendant sept longues années et ont pris soin l’un de l’autre. Une tragédie qui a renforcé leur lien indéfectible.
Le passé s’invite au détour d’une rue ou d’une plaie à panser
Les pièces du puzzle de cette période s’assemblent tout au long du film et la vérité de la force de leur vécu ensemble se révèle sous les yeux du spectateur empathique. Michel, dont la voix off explicite les ressentis, est prévenu par la compagne de Patrice que ce dernier a disparu. Michel quitte tout du jour au lendemain pour le retrouver. Tout, c’est-à-dire sa femme Lise (Chloé Stéfani), leurs deux enfants et son cabinet d’architecte. Il part, sans donner d’explications.
Tous deux ont appris à disparaître, car disparaître semble être une affaire de famille. Leur propre mère Marielle de Robert (Alma Jodorowsky) n’est pas revenue les chercher après leurs vacances en Charente-Maritime, en 1948. Ils sont restés quelques jours en pension puis un malentendu leur a fait croire que la police les cherchait. Et quand elle est revenue, elle n’a pas plus été une mère au sens maternel protecteur.
Frères plonge très bien le spectateur dans une autre époque, usant une couleur de la pellicule un peu différente. Une époque dans laquelle les enfants n’étaient ni désirés, ni choyés, ni même considérés. Une époque où les mères de bonne famille qui n’avaient pas de contraception voulaient malgré tout vivre leur vie, sans s’embarrasser d’enfants. Le réalisateur réussit d’ailleurs la prouesse de ne porter aucun jugement sur le comportement de ces femmes.
Ce qui est intéressant dans Frères, c’est bien le point de vue des enfants face à un monde d’adultes. Le film les montre en mode survie et silences, pas en mode chagrin et paroles, même s’il eût été logique, vu les circonstances, que les petits pleurent. Leurs réactions sont à hauteur d’enfants, sans explication autre que celle des faits. Leur mère n’est pas revenue. Les garçons ont cru faire une bêtise et se sont enfuis. Personne ne les a vraiment cherchés. Ils ont parfois été en contact d’adultes avenants, parfois approchés par des sales types.
Bel hommage de Michel à Patrice
Ils ont finalement réussi à faire de leurs pires moments des souvenirs de bonheur, rien que pour eux. Mais à quel prix ? Car le film interroge pudiquement sur la façon dont un adulte construit sa vie après avoir été confronté à de tels drames et au poids du secret. Michel et Patrice ont certes survécu et rattrapé leurs années de déscolarisation, mais quelque chose s’est définitivement brisé en eux.
Frères offre aussi une belle réflexion sur les dons naturels dont les garçons ont fait preuve, à l’origine de leurs vocations. "Mic" construisait des cabanes et est devenu ingénieur, "Pat" prenait soin de son frère et est devenu psychiatre. Olivier Casas a trouvé trois duos très émouvants de frères, dont celui adulte formé par les taiseux Yvan Attal et Mathieu Kassovitz. Malgré des scènes du présent parfois un peu longues, Frères se révèle un film très touchant, qui va droit au cœur.
Frères d'Olivier Casas, en salles le 24 avril 2024. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.