CRITIQUE FILM – Avec son dernier film « Genèse », le réalisateur Philippe Lesage dresse le portrait d’ado-adulescents face au danger de leurs premiers émois et doutes amoureux. On y suit tantôt Guillaume (Théodore Pellerin) et sa demi-sœur Charlotte (Noée Abita), tantôt Félix (Edouard Tremblay-Grenier), un jeune ado dans un camp de vacances.
Philippe Lesage est un jeune réalisateur canadien qui a commencé par le documentaire, et son regard scrutateur de l’âme humaine s’en ressent dans sa fiction Genèse. Dans ce film qu’il a construit en deux parties bien distinctes, il évoque la naissance du désir et les amours adolescentes et adulescentes. D’abord au travers des regards de Guillaume (Théodore Pellerin) et de sa demi-sœur Charlotte (Noée Abita). Puis en suivant Félix (Edouard Tremblay-Grenier), jeune ado dans un camp de vacances. Ce dernier n’a aucun lien de parenté avec les personnages précédents mais les points communs sont l’évocation des premiers émois et une chanson qui traverse le temps. Cette narration originale, totalement assumée par le réalisateur, risque de laisser perplexes certains spectateurs qui auront peut-être l’impression de voir un long-métrage suivi d’un court-métrage.
D'ailleurs on ne cache pas que c’est davantage l’histoire en parallèle de Guillaume et Charlotte qui parvient à nous happer, charmer, choquer dans Genèse. Philippe Lesage filme ainsi Guillaume et Charlotte séparément, les fait parfois se croiser, pour les amener à un point précis de non-retour : celui où ils ne pourront faire autrement que se soutenir l’un l’autre, quand la vie de chacun aura basculé. Le réalisateur donne à voir de façon très subtile leurs existences symétriques, permettant au spectateur de s’attacher très vite autant à l’un qu’à l’autre. Guillaume est pensionnaire en dernière année du collège et Charlotte est étudiante et vit chez ses parents. Ils semblent plutôt solides, gentils et à l'aise avec leur corps mais ils apparaissent parfois candides et assez peu conscients des codes en société et donc de leurs propres limites.
Ils cachent aussi un vide affectif, qu’ils parviennent parfois à combler avec des amis chers. Guillaume fait ainsi le pitre et rencontre un franc succès auprès de ses camarades tout comme auprès de ses professeurs, dont il se moque allègrement. Charlotte sort avec ses amies et aime faire la fête et danser. Le réalisateur montre brillamment la fragilité de leur équilibre en construction, encore trop conditionné à l'état de leur cœur.
Les troubles amoureux dans tous leurs états
Les personnages de Genèse s’interrogent, et le spectateur avec eux, sur ce qu’est l’attirance, le désir, l’attachement, l’engagement envers quelqu’un. À partir de quand ressent-on de l’amour ? L’amitié peut-elle se transformer en amour, et vice-versa ? Comment être certain de ce que l’on éprouve et de ne pas se tromper ? Et comment savoir si la réciproque est vraie ? Guillaume se questionne ainsi sur son affection pour Nicolas, son meilleur ami. Quant à Charlotte, elle semble heureuse avec Maxime (Pier-Luc Funk). Pourtant, il instille en elle un doute et ouvre une toute petite brèche, qu’elle va s’empresser de colmater auprès de Théo (Maxime Dumontier), plus âgé qu’elle.
La formidable bande son de Genèse est dynamique à souhait, à l’image de l’exaltation ressentie par les personnages. Elle permet aux éléments du puzzle de prendre habilement leur place dans le drame auquel chacun va devoir faire face. Car Charlotte et Guillaume sont courageux, ils vont oser prendre des risques et ouvrir leurs cœurs. Puis ils vont être déçus, voir leur sincérité rejetée et pire que tout, subir l’humiliation. Et on ne peut pas dire que le monde des adultes tel que le réalisateur le donne à voir - jugeant et assez déprimant - dans lequel ils rentrent tous les deux brutalement, soit porteur d’espérances. Comme pour symboliser leur non-implication dans la vie de leurs enfants, le réalisateur a d’ailleurs pris le parti intéressant de ne filmer frontalement aucun des parents, que l’on devine peu présents, voire défaillants. A peine aperçoit-on la mère de Nicolas soûle et le père de la fratrie (Laurent Lucas) au loin, dont on entend seulement la voix.
Les seuls adultes auxquels Philippe Lesage semble accorder crédit dans leurs rôles d’éducateurs sont les professeurs de Guillaume, et dans une moindre mesure les fréquentations de Théo pour Charlotte. Et pourtant, ces personnes qui auraient dû servir de modèles fiables, faire naître la confiance et les aider à forger leur personnalité, sont ceux-là mêmes qui vont les entraîner vers le doute, le manque de discernement, le mépris et le gouffre de leur drame parallèle. Chronique de la fin de l’innocence qui fera sans nul doute écho à bien des spectateurs, Genèse se révèle donc un film remarquable qui serre définitivement le cœur.
Genèse de Philippe Lesage, en salle le 10 avril 2019. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.