CRITIQUE/AVIS FILM - Animé par des combats ultra-spectaculaires et un Denzel Washington impérial, "Gladiator 2" réjouit franchement par son spectacle. Mais ce blockbuster, très réussi en tant que pur divertissement, pèche par son immaturité générale et par son absence de filiation stylistique avec le monument "Gladiator".
Retour sanglant et musclé au Colisée
À 86 ans, Ridley Scott n'a aucune intention de prendre sa retraite et tourne avec une énergie intacte. Après l'anecdotique House of Gucci et le raté Napoléon, le cinéaste le plus amusant d'Hollywood donne pour la première fois lui-même une suite à un de ses succès, et pas le moindre : Gladiator. Sans doute aurait-il fallu laisser ce monument du cinéma américain des années 2000 en paix, et ne pas lui donner suite pour cette raison : de movie, ses grandes qualités l'avaient transformé en film, ravissant public et professionnels jusqu'à s'offrir cinq Oscars en 2001.
Mais Ridley Scott, dans sa course folle à l'entertainment, se soucie moins de bâtir un héritage cinématographique que de mettre en scène le "fun" et le "crazy" qu'il assène à chaque interview, comme un enfant recommençant chaque jour la même bataille dans son bac à sable. Alors, prenons-le mot : a-t-on été divertis par Gladiator 2 ?
Un blockbuster à haut régime
Gladiator 2 est un grand divertissement, réussi sur bien des points, parce qu'il connaît ses forces. Des muscles, du sang, et de la bagarre ultra-spectaculaire à volonté. On suit donc Lucius (Paul Mescal), éloigné de Rome par sa mère Lucilla (Connie Nielsen) il y a presque 20 ans, et devenu un citoyen et militaire dans une cité d'Afrique. Lorsque les légions du général Acacius (Pedro Pascal) assiègent sa cité, sa femme est tuée et lui est fait prisonnier.
Repéré par un puissant marchand d'armes, Macrinus, aussi propriétaire d'une écurie de gladiateurs et qui se rêve empereur, il va devenir instantanément le combattant star du Colisée, redoublant naturellement de sauvagerie et de brutalité. Utilisé par Macrinus (Denzel Washington) pour accélérer sa conspiration, Lucius va assumer sa vengeance et son destin - il est le fils et le successeur de Maximus, l'homme et la légende romaine -, et essayer de réhabiliter l'ancien "rêve de Rome".
Séquence de débarquement explosive, combats contre des babouins sanguinaires et contre un rhinocéros de guerre, Colisée transformé en bassin infesté de requins... C'est parfaitement jouissif, mais montées à l'énergie et sans gras - malheureusement sans le "bon" gras du premier film, son souffle épique et son héroïsme -, on passe d'une boucherie à une autre si vite qu'il est difficile de savoir en combien de temps, dans le récit, toute cette histoire se déroule. Et cette histoire, c'est Lucius qui est son seul conducteur et son métronome.
Paul Mescal dans le grand bain (de sang)
Ensanglanté et les yeux d'un bleu mythologique, Paul Mescal s'en tire à merveille et réussit son passage d'égérie masculine du cinéma indépendant à celui de star de blockbuster. Physiquement, il dégage une bestialité presque tranquille et une force qui se donnerait à contre-coeur. Ce paradoxe lui confère un charisme indéniable au moment de trucider ses ennemis, mais ses sentiments ne sont pas clairs et ses motivations apparaissent fondées sur du sable.
Sa vengeance est-elle bien dirigée, sa femme ayant été tuée au combat par une flèche anonyme ? Pour rappel, la vengeance nécessaire de Maximus était née de l'assassinat de sa femme et de son fils par la garde prétorienne, ordonné par Commode, soit une violence autrement plus monstrueuse que celle subie par Lucius. En veut-il à sa mère de l'avoir éloigné ? A-t-il une idée, un "rêve" de Rome comme l'avait son père, général romain et proche de l'empereur Marc-Aurèle dont il considérait l'idéologie ?
Il existe un flou dans Gladiator 2, constitué par une sur-abondance d'intrigues qui se court-circuitent les unes les autres. Rétablir la "grandeur" de Rome ou venger sa bien-aimée pour Lucius ? Le général Acacius, très convaincant Pedro Pascal qui apparaît finalement être le personnage le plus proche du modèle Maximus, oeuvre-t-il pour sauver Rome ou par amour pour Lucilla ? Les co-empereurs Geta et Caracalla, avatars décérébrés - à outrance - de Commode, ont-ils vraiment une fonction dans le récit autre que celle de faire les fous ?
Denzel Washington en aigle impérial...
Parce que tous ces personnages, y compris Lucius, pèchent par un défaut d'écriture et de caractérisation, celui qui prend toute la lumière est évidemment Denzel Washington. L'acteur, un des tout meilleurs de sa génération, livre une performance de prestige, d'autant plus remarquable qu'elle n'est que d'allure. Personne ne sait marcher, rire, lancer des punchlines et tétaniser par sa seule présence aussi bien que lui. Bien sûr, il a déjà été le gangster de Ridley Scott dans American Gangster. Mais dans Gladiator 2, c'est le flic corrompu et machiavélique de Training Day qu'on retrouve, l'odieux et terriblement séduisant Alonzo Harris, rôle pour lequel il a obtenu l'Oscar du Meilleur acteur en 2002.
... au dessus des pigeons
Largement au-dessus de la mêlée, c'est lui qui incarne le mieux l'entreprise de Ridley Scott : du "fun", du "fun" et encore du "fun". Et tant pis pour les aberrations historiques : son personnage a réellement existé, mais sa vie est en partie réinventée pour s'intégrer à la pure fiction de celle de Lucius. Il en va de même pour les frères empereurs fratricides Caracalla et Geta, dont l'histoire véritable est authentiquement spectaculaire, et qu'on retrouve là tordue et balayée à l'arrière-plan. Joseph Quinn et Fred Hechinger, en dépit de leurs performances très volontaires et au diapason de l'énergie du film, apparaissent alors superflus dans une histoire dont ils occupent pourtant le centre.
Divertis sans être emportés
Interrogé sur le cinéma de Martin Scorsese, Jacques Audiard estimait dans une vidéo Konbini que, selon lui, l'auteur de Raging Bull et de Les Affranchis "fabriquait" des films depuis Casino. Une manière de dire que quelque chose s'était perdu, et c'est peut-être ce qui arrive aussi à Ridley Scott qui, après La Chute du faucon noir et à l'exception de quelques films (American Gangster, Robin des Bois, Seul sur Mars, Le Dernier Duel), enquille des réalisations dont on ressent qu'il peut les faire plus qu'il ne veut les faire.
A contrario de Top Gun : Maverick, qui 36 ans après Top Gun faisait le choix du sérieux pour moderniser un univers fun, Ridley Scott fait dans une immaturité assumée alors que Gladiator était bâti sur une extrême gravité. Alors, certes, Gladiator 2 est épique dans ses combats, mais il est souvent risible dans ses dialogues, contrefait dans sa représentation de Rome, et peu aidé par des effets numériques moins performants que ceux du premier film, sorti il y a 24 ans...
Le jeune Lucius n'est ainsi pas l'expérimenté Maximus et son cours dans ce nouveau film Gladiator est peut-être autant divertissant, mais il est bien moins tragique et empathique, en dépit de ses séquences oniriques mythologiques, qui semblent justement incluses pour donner à l'histoire de Lucius le souffle et la grandeur qu'elle n'a pas en elle-même.
Gladiator 2 de Ridley Scott, en salles le 13 novembre 2024. Ci-dessus la bande-annonce.