CRITIQUE FILM – Après « Incassable » et « Split », M. Night Shyamalan conclut avec « Glass » sa trilogie super-héroïque initiée en 2000. Un troisième opus en dents de scie qui se défend avant tout pour la vision de l’auteur sur la place des comics actuellement.
En 2017, M. Night Shyamalan confirmait avec Split son retour après le succès de The Visit (presque 100 millions de dollars au box-office mondial pour un budget de 5 millions). Dans cette nouvelle collaboration avec Blumhouse, le réalisateur livrait un thriller psychologique viscéral ultra efficace, porté par un grand James MacAvoy et une mise en scène tendue. Cependant, Split aurait pu rester relativement anecdotique dans la filmographie de Shyamalan sans son fameux twist de fin (marque de fabrique du réalisateur). Une courte scène qui faisait intervenir Bruce Willis dans le rôle de David Dunn qu’il tenait dans Incassable (2000). À la surprise générale, Split et Incassable formaient donc un univers commun, et redéfinissaient le cinéma de Shyamalan pour le placer comme l’un des derniers réalisateurs-auteurs à puiser dans le genre du film de super-héros.
L'union fait la force
Dans Incassable, David Dunn se découvre une force physique surhumaine après un accident de train dont il est l’unique survivant. Le responsable, Elijah Price (Samuel L. Jackson), atteint de la “maladie des os de verre” et passionné de comics, parvient à le convaincre qu’il est un super-héros, et se place en « vilain » de l’histoire. Dans Split, Casey (Anya Taylor-Joy), une jeune adolescente se fait enlever par Kevin Wendel Crumb, un homme souffrant de trouble de la personnalité multiple. Parmi ses personnalités, “La Bête”, confère à Kevin une force également hors du commun. Enfin, avec Glass, Shyamalan entend réunir ses personnages. Mais si tout débute par la traque de Crumb par David Dunn, l’originalité annoncée du film est de se dérouler en majorité dans un hôpital psychiatrique – dont le cinéaste ne fera finalement pas grand chose. Dedans, le docteur Ellie Staple (Sarah Paulson) tente de ramener à la raison Elijah, Crumb et David Dunn, de les convaincre qu’ils ne sont pas des super-héros, mais que leurs capacités peuvent s’expliquer scientifiquement.
On peut évidemment voir là une forme de redite. Déjà, avec Incassable, Shyamalan questionnait ses super-héros et laissait planer le doute sur leurs pouvoirs, avant d’assumer son point de vue. Cette nouvelle remise en question apparaît dès lors assez superflue et artificielle. D’autant plus avec un premier twist majeur, en fin de film, qu’absolument rien ne laisse présager. Un rebondissement gratuit et décevant dans son cheminement plus que dans son fond. Et c’est bien là que Glass s'avère inégal. Car si la mise en scène de Shyamalan est cette fois bien trop classique – à mille lieux d’Incassable ou du caractère poisseux de Split -, et que l’avancée de son récit est des plus laborieuses, Glass s’en sort tout de même par les messages qu’il véhicule (sur le rapport du monde aux comics, la définition du héros et du méchant...) et sa manière de réutiliser les codes du genre.
Un fond qui sauve les meubles
À sa manière, Shyamalan veut ainsi pointer le manque d’originalité des films de super-héros actuels qui suivent toujours un schéma similaire ; première rencontre du héros et de l’antagoniste, union des bad guy, revirement après une révélation majeure, combat final devant témoins... On pourrait d’ailleurs voir en Ellie Staple (et ce que révèle un twist) une représentation des studios non-désireux, désormais, que des auteurs s’expriment avec leurs marques de super-héros. Elijah, qui tire évidemment les ficelles, s’exprimant dans ce sens au sujet des comics et de leur mauvaise interprétation.
Comme le titre le laissait entendre, Glass est bien son film, son origin story. L’autre tour de force de Shyamalan est alors de tirer de ce « vilain » une réelle empathie, revenant avec parcimonie sur son passé. Il en va de même pour Crumb (James MacAvoy, encore excellent) avec sa relation avec Casey (peu présente mais importante). Là où les Marvel et DC peinent trop souvent à émouvoir, Shyamalan fait preuve d’un vrai talent. Dommage qu’on ne puisse pas en dire autant du traitement de Dunn, dont le manque de motivation de Bruce Willis est flagrant, et que les personnages secondaires, Casey, la mère d’Elijah, et le fils de Dunn, ne soient pas davantage utilisés.
Un « défaut » symptomatique de ces films réunissant des super-héros, et donc une multitude de personnages, qui ne peuvent évidemment pas tous être traités à la même enseigne. En cela, Shyamalan est parvenu à faire de Glass son Avengers schizophrénique, où l’auteur semble s’auto-censurer sur la forme tout en laissant exprimer sa personnalité dans un discours enfoui qui témoignerait d’une triste réalité du cinéma hollywoodien.
Glass de M. Night Shyamalan, en salle le 16 janvier 2019. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.