CRITIQUE FILM- « Grâce à Dieu » relate le combat des hommes de l’association La parole libérée, créée pour dénoncer les abus sexuels dont ils ont été victimes pendant leur jeunesse par un prêtre protégé par l’Église. Ce nouveau film de François Ozon, émouvant et porté par des acteurs très justes, vient d'obtenir le Grand Prix du Jury à la Berlinale 2019.
"Grâce à Dieu, les faits sont prescrits" est la fameuse phrase que prononça malencontreusement le Cardinal Barbarin en conférence de presse à l’annonce des poursuites judiciaires à son encontre et celle du père Preynat. Le réalisateur François Ozon fait bien plus que s’inspirer de faits réels dans Grâce à Dieu. Il relate le chemin réellement parcouru par plusieurs hommes victimes de ce prêtre pédophile alors qu’ils étaient jeunes scouts. Le procès pour non-dénonciation d’agressions sexuelles sur mineurs du Cardinal Barbarin et de cinq membres du diocèse de Lyon s’est d'ailleurs tenu quelques semaines avant la sortie du film et celui du prêtre est prévu courant 2019.
C’est par la voix off d’Alexandre (Melvil Poupaud), que le réalisateur a choisi de nous faire entrer dans le récit. Il raconte le moment de sa prise de conscience en 2014 de l’inertie totale de l’Église à Lyon. Père de cinq enfants et fervent catholique, Alexandre est rongé par l’idée que le prêtre, dont il découvre qu’il exerce encore, poursuive ses abus auprès de jeunes garçons. Comme investi d’une mission (divine ?) et ayant une confiance absolue en son église, il avance respectueusement dans l’expression de sa demande de repentance de la part du prêtre - qui ne viendra pas, empêchant évidemment de calmer la colère et la souffrance d’Alexandre.
Les échanges épistolaires entre Alexandre, Régine la psychologue de l’église, et le Cardinal (François Marthouret) sont également en voix-off, ce qui donne au film un aspect documentaire-fiction, et en tous les cas, très didactique. Ce parti-pris a aussi le mérite de tenir un temps le spectateur à une certaine distance de ses propres émotions, tant l’ampleur du récit est glaçante. Car rien n’est montré dans les flashbacks, mais tout est habilement suggéré.
La vie brisée des hommes abusés pendant leur jeunesse
Grâce à Dieu fait évidemment penser à deux films qui ont révélé de tels agissements aux États-Unis. Spotlight, détaillant l’investigation d’une équipe de journalistes à Boston, ou la série documentaire The Keepers, dans laquelle d’anciennes élèves d’une religieuse assassinée dévoilaient un large scandale de pédophilie au sein de l’église de Baltimore. Et comme aux États-Unis, on comprend vite que le ver est dans le fruit et que les hommes d’Église, malgré de nouvelles directives du Pape, ont bien du mal à reconnaître leur part de responsabilité et leurs fautes. Le réalisateur donne parfaitement à voir ce paradoxe insupportable à vivre pour Alexandre de ne jamais déceler en eux l’exemplarité morale qu’ils prônent pourtant auprès des fidèles. Son chemin douloureux et obsessionnel le pousse à un besoin de justice, mais les faits le concernant sont prescrits.
Son combat, dès lors, est de faire retrouver par le capitaine Courteau (Frédéric Pierrot) d’autres hommes victimes, tels François (Denis Ménochet), Gilles (Éric Caravaca) ou Emmanuel (Swann Arlaud). Le récit bascule alors de l’un à l’autre. Ce qui est très émouvant dans le film, c’est de voir se craqueler la carapace de ceux qui acceptent de parler. Découvrir la peur encore ancrée dans les pores de leur peau, leur fragilité à nouveau à nue. Les regarder aller les uns vers les autres, se reconnaître les uns les autres, se soutenir, être en empathie totale. Former un groupe, et même pour certains une nouvelle famille par le biais de la création de l’association "Libérer la parole". Chercher celui dont la plainte pourra aboutir à un procès et espérer ensemble la condamnation de ces actes infâmes.
Grâce à Dieu est une véritable ode au courage. Le courage de parler publiquement de ce que l’on a subi. Le courage de reconnaître que ces viols et attouchements ont eu un impact incontestable sur sa vie, voire des conséquences bouleversantes. Le courage de comprendre que ce n’est pas parce qu’on ne parle pas de ces choses-là qu’il est possible de les oublier. Car il est psychiquement prouvé que le traumatisme de la violence sexuelle n’a pas de prise sur le temps, et que les souvenirs restent toujours tapis dans l’ombre tant qu’ils n’ont pas eu la possibilité de s’exprimer. Ces hommes ont tous évolué de façon différente, souvent grâce à l’aide et au regard porté par leur propre famille, et parfois aussi, grâce à leur foi. Certains l’ont reniée, mais la plupart ont toujours réussi à faire un semblant de parts des choses, s’y raccrochant peut-être.
La foi n'est pas toujours d'un grand secours
Car le pire est évidemment de ne pas être en capacité de dire aux parents ce qu’il leur était arrivé. Le film montre parfaitement les différentes raisons qui poussent un enfant à garder le silence. La honte mélangée à une forme de joie malsaine d’avoir été choisi par le prêtre, l’emprise qu’il exerçait sur eux, le secret qu’il exigeait ou l’omerta de leurs propres familles catholiques. En ce sens, Grâce à Dieu met très bien en perspective et sans concession les différentes réactions des parents (Hélène Vincent, François Chattot, Josiane Balasko). La plupart ont pratiqué une stratégie d’évitement habile et parfois assez lâche, soit envers eux-mêmes, faisant comme s’ils ne savaient pas, ou en dédramatisant l’affaire. Soit envers leurs garçons, leur évitant seulement les contacts avec les scouts et donc le prêtre. Les moments de réactivation de ces souffrances sont particulièrement forts et étreignent le cœur du spectateur.
Le film insiste sur l’importance de la relation de confiance entre les parents et les enfants, mais aussi au sein du couple tant le soutien dans le combat d’Alexandre dont fait preuve sa femme Marie (Aurélia Petit) est fondamental. Les scènes liées à la façon dont les membres de l’association doivent faire connaître leur combat sont d’un intérêt moindre par rapport à la quête de ces hommes. Mais Grâce à Dieu se révèle un film puissant et pudique, qui offre une réflexion de fonds sur la place de la foi face à de tels actes odieux, à l'encontre totale d'une humanité glorifiée par l'Église.
Grâce à Dieu de François Ozon, en salle le 20 février 2019. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.